(Washington) Nancy Pelosi, grande figure de la politique américaine, a annoncé jeudi renoncer au poste de cheffe des démocrates dans la future Chambre des représentants, où les républicains ont obtenu la majorité.

« Je ne vais pas me représenter à la direction démocrate du prochain Congrès », a déclaré l’actuelle présidente de la Chambre, 82 ans, lors d’un discours prononcé dans l’hémicycle où elle a dit vouloir laisser place à « une nouvelle génération ».

Le président Joe Biden lui a immédiatement rendu hommage, saluant en elle une « fervente défenseure de la démocratie ».

Sous les applaudissements, elle a évoqué les souvenirs de ses 35 ans passés à la Chambre, qu’elle a vu évoluer pour être « plus représentative de notre belle nation ».

Nancy Pelosi, première femme à occuper le perchoir de la chambre basse, a aussi parlé des moments plus sombres, comme l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021.

« La démocratie américaine est majestueuse, mais elle est fragile », a-t-elle prévenu.

Nancy Pelosi a maintenu jusqu’au bout le suspense sur son retrait, emportant chez elle deux versions différentes de son discours. Elle continuera à siéger à la Chambre, comme simple élue de Californie.

« On se souviendra de Nancy Pelosi comme d’une des parlementaires les plus accomplies de l’histoire américaine – repoussant les limites, ouvrant des opportunités et oeuvrant au service des Américains », a commenté sur Twitter l’ancien président démocrate Barack Obama.

« Merci pour tout ce que vous avez fait pour les États-Unis », a salué Hakeem Jeffries, élu de New York et pressenti pour lui succéder à la tête des démocrates à la Chambre.

La Chambre a salué la fin de sa prise de parole par une longue ovation, les démocrates debout, nombre de républicains absents. « L’ère Pelosi s’achève. Bon débarras ! », a tweeté l’élue trumpiste du Colorado Lauren Boebert.

Attaque

Troisième personnage de l’État américain, elle est connue pour son rôle de première opposante à Donald Trump, qu’elle a farouchement combattu lorsqu’il occupait la Maison-Blanche.

Tacticienne douée d’un flair politique hors pair, elle a souvent fait la pluie et le beau temps sur la colline du Capitole où elle a été élue « speaker » dès 2007.

Ces derniers mois, c’est son engagement en faveur de Taïwan qui a beaucoup fait parler : sa visite cet été sur l’île revendiquée par les autorités chinoises avait provoqué la colère de Pékin.

Fin octobre, son mari Paul a été attaqué en pleine nuit à leur domicile en Californie par un homme armé d’un marteau. Il cherchait en fait Nancy Pelosi, qu’il accusait de mentir et à qui il comptait « briser les rotules ».

Le drame a marqué la démocrate, qui s’était dite « traumatisée ».

Au début de son discours, elle a d’ailleurs eu un mot pour son mari, « partenaire bien-aimé » et « soutien ».

Juste avant les élections du 8 novembre, elle avait confié que l’attaque influencerait sa décision de prendre sa retraite ou pas, si les démocrates perdaient leur majorité à la Chambre des représentants.

C’est ce qui s’est passé mercredi soir, au terme de plus d’une semaine d’un dépouillement à suspense comme le complexe système électoral américain sait en créer les conditions.

Au bout du compte, les républicains se sont emparés d’une majorité d’au moins 218 sièges qui, bien que très courte, leur donnera un pouvoir de blocage sur la politique de Joe Biden jusqu’en 2024.

Divisé

Le Congrès se retrouve donc divisé, les démocrates étant parvenus à conserver le contrôle du Sénat.

Même avec une mince majorité à la Chambre, les républicains disposeront d’un pouvoir conséquent en matière d’inspection, qu’ils ont promis d’utiliser pour une kyrielle d’investigations sur la gestion par Joe Biden de la pandémie ou du retrait d’Afghanistan.

Ils n’ont d’ailleurs pas perdu une seconde pour le mettre en œuvre.

Jeudi matin, les conservateurs de la chambre basse ont annoncé leur intention d’enquêter sur les risques à « la sécurité nationale » posés par les transactions commerciales de la famille de Joe Biden à l’étranger.

Privé d’un Congrès qui lui était entièrement acquis depuis deux ans, le parti du président démocrate ne pourra plus faire voter de grands projets. Mais l’autre camp non plus.

L’avenir des projets républicains — détricoter certaines réformes de l’éducation, remettre en question l’aide à l’Ukraine, légiférer sur l’avortement au niveau fédéral, etc. — apparaît ainsi plus qu’incertain.

PHOTO ALEX BRANDON, ASSOCIATED PRESS

Nancy Pelosi déchire le discours que Donald Trump vient de prononcer devant le Congrès à Washington, le 4 février 2020.

La dame du Capitole

D’un geste spectaculaire, Nancy Pelosi déchire le discours que Donald Trump vient de prononcer devant le Congrès : l’image a marqué les esprits et résume parfaitement le style percutant de l’inoxydable présidente de la cheffe de la Chambre des représentants.

Troisième personnage de l’État américain après le président et la vice-présidente, cette fine tacticienne de 82 ans occupe le perchoir, par intermittence, depuis 2007.

Elle devra céder le maillet en janvier, son parti démocrate ayant perdu, de peu, le contrôle de la chambre basse lors des élections de mi-mandat. L’élue de Californie a annoncé jeudi qu’elle laisserait également la tête du groupe démocrate aux « jeunes générations ».

Personnage central, et parfois clivant de la classe politique américaine, Nancy Pelosi arpente le Capitole depuis 1987, où elle a vu défiler pas moins de sept présidents américains.

Habituée des luttes entre les partis, mais aussi intestines, elle est en grande partie créditée du passage de la réforme de la santé de Barack Obama et des gigantesques plans d’investissements de Joe Biden.

Mais plus que tout, c’est dans son rôle de première opposante à Donald Trump, dont elle a validé par deux fois la mise en accusation, que la « Speaker » s’est illustrée.

Comme lorsque, le 7 février 2018, cette femme à l’énergie débordante proclame un discours fleuve dans l’hémicycle, droite sur ses talons pendant plus de huit heures, pour réclamer une réforme de l’immigration protégeant les jeunes sans papiers.

Puis en février 2020, lors du discours annuel du président devant les parlementaires, Nancy Pelosi, assise derrière lui, l’écoute d’un air pincé, souvent désapprobateur.

À peine a-t-il terminé qu’elle déchire ostensiblement la copie de ses propos sous l’œil de l’assemblée médusée. Elle expliquera ensuite avoir voulu détruire un « ramassis de contre-vérités ».

« Coups de poing »

Des images, révélées récemment, ont confirmé sa pugnacité même dans les pires moments.

Elles remontent au 6 janvier 2021, quand son équipe l’informe de l’intention de Donald Trump de se mêler à la foule sur le point d’attaquer le Congrès, projet auquel le 45e président renoncera finalement.

« S’il vient, je vais le virer à coups de poing, j’attends ça depuis longtemps », lance-t-elle sans détour. « Je vais le virer à coups de poing, j’irai en prison, et je serai contente », martèle-t-elle, en serrant les dents.

L’opposition sans relâche de Nancy Pelosi au tempétueux républicain, ses positionnements politiques et son franc-parler ont parfois fait d’elle une cible.

Ce jour-là, alors qu’elle est retranchée dans un emplacement secret, les partisans de Donald Trump débouleront dans son bureau en criant « où es-tu Nancy ? ».

Le même cri prononcé par un homme, qui s’introduit fin octobre dans son domicile à San Francisco, attaquant son mari à coups de marteau.

Cette agression l’a profondément marquée. « Cela m’a fait prendre conscience de la peur » ressentie par les agents électoraux et certains élus, a-t-elle expliqué. « Mais nous devons être courageux », s’est-elle empressée d’ajouter.

Hors-sol

Donald Trump, qui la surnomme « Crazy Nancy », la dépeint comme une caricature du marigot politique, qu’il prétend combattre.

D’autres conservateurs dénoncent l’« arrogance » et le niveau de vie hors-sol de cette épouse d’un homme d’affaires millionnaire.

Mère de cinq enfants, Nancy D’Alesandro est née le 26 mars 1940 à Baltimore dans une famille italo-américaine catholique. Son père et son frère ont été maires de cette grande ville industrielle de l’est du pays.

Diplômée du Trinity College de Washington, elle s’installe ensuite à San Francisco avec son époux Paul Pelosi.

Elle gravit les marches du parti démocrate et remporte à 47 ans sa première élection à la Chambre. En 2003, elle prend la tête de la minorité démocrate, avant d’occuper le perchoir de 2007 à 2010.

Celle qui a l’image d’une modérée dans son fief progressiste de San Francisco reprend ce poste en 2019 en écrasant sans faire de vague la fronde dans la remuante aile gauche démocrate.

Depuis, son autorité n’a jamais été remise en cause, du moins publiquement.

Peut-être parce que « personne n’a jamais gagné en pariant contre Nancy Pelosi », à en croire des propos tenus par sa fille Alexandra, sur CNN en 2019. « Elle est du genre à vous arracher la tête sans que vous vous rendiez même compte que vous saignez ».