(New York) Le lendemain de l’agression de son mari, dont l’auteur voulait savoir où elle se trouvait, Nancy Pelosi a partagé la vedette avec Joe Biden dans une toute nouvelle pub républicaine accusant les démocrates de « détruire notre pays ».

« Frontières : ouvertes. Rues : dangereuses. Économie : en ruine. Il est temps de sauver l’Amérique. Virez les démocrates de la Chambre et votez républicain le 8 novembre », dit le texte de cette pub numérique où Pelosi apparaît, les traits tirés, derrière un Biden au visage colérique.

S’il y a un groupe qui aurait pu vouloir donner un répit à la présidente de la Chambre des représentants après l’agression de Paul Pelosi, ne serait-ce qu’un jour ou deux, c’est bien celui qui a payé pour cette pub diffusée sur Facebook et Instragram.

Il s’agit du comité des dépenses électorales républicain de la Chambre, dont le chef, Kevin McCarthy, rêve de succéder à Nancy Pelosi après les élections de mi-mandat.

PHOTO EVELYN HOCKSTEIN, ARCHIVES REUTERS

Les élus républicains Kevin McCarthy et Mitch McConnell avec la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, lors d’un évènement à Washington, le 29 septembre dernier.

Mais McCarthy et ses principaux lieutenants ne sont peut-être plus capables de voir la collègue ou la femme derrière la démocrate que le Parti républicain et ses alliés médiatiques diabolisent depuis deux décennies. Diabolisation qui est parfois littérale, Pelosi étant dépeinte avec des cornes ou des yeux rouges dans certaines affiches. Diabolisation qui a mené ces dernières années à l’arrestation de plusieurs hommes soupçonnés de vouloir l’assassiner.

À une autre époque, le sénateur démocrate du Massachusetts Ted Kennedy tenait ce rôle de bête noire par excellence chez les républicains. Il incarnait tout ce que les conservateurs détestaient chez les libéraux (ou progressistes), y compris une foi inébranlable dans le rôle du gouvernement pour venir en aide aux moins fortunés. Il se retrouvait ainsi dans quantité de pubs républicaines mettant en garde les électeurs contre la tentation de faire des États-Unis un « Taxachusetts », surnom qu’ils donnaient à l’État de Kennedy.

Depuis 2003, année où elle a pris la tête du groupe démocrate à la Chambre, Nancy Pelosi a remplacé Kennedy dans les pubs des républicains. Ces derniers peuvent d’autant plus facilement la caricaturer qu’elle vit à San Francisco, bastion de la gauche américaine, et qu’elle jouit d’une grande fortune grâce à son mariage au patron d’une société de conseil et d’investissement en immobilier et en capital-risque.

Cette caricature, qui fait la part belle au sexisme, ne tient pas compte de l’histoire complète de Nancy Pelosi, fille unique de l’ancien maire de Baltimore, Thomas D’Alesandro, qui a élevé cinq enfants avant de gravir un à un les échelons politiques pour devenir, en 2007, la première femme à être choisie « Speaker of the House ».

De retour à ce poste influent depuis 2019 après un purgatoire de huit ans, Pelosi pourrait donc devoir céder en janvier prochain son marteau de présidente de la Chambre à McCarthy. Ce dernier a d’ailleurs poussé l’an dernier une blague à ce sujet qui semble encore plus grotesque depuis l’agression au marteau de Paul Pelosi.

« Je veux que vous regardiez Nancy Pelosi me tendre ce marteau. Il sera difficile de ne pas la frapper avec », a-t-il déclaré après s’être vu remettre un marteau géant lors d’une activité de collecte de fonds au Tennessee.

Tous les républicains ne blaguent pas en parlant de s’en prendre à Nancy Pelosi. En 2018, Marjorie Taylor Greene a aimé un message sur sa page Facebook affirmant qu’« une balle dans la tête serait [une façon] plus rapide » de démettre Pelosi de ses fonctions. En 2019, la future représentante républicaine de Géorgie a par ailleurs fait la promotion d’une pétition appelant à la destitution de Pelosi pour « trahison ».

« C’est un crime punissable par la mort », dit-elle dans une vidéo retrouvée par CNN.

Après son élection, Greene a mis ces déclarations sur le compte d’un égarement dans la mouvance complotiste QAnon dont elle jure s’être remise.

Paul Depape, le suspect dans l’agression de Paul Pelosi, n’en a pas encore fini avec QAnon, à en juger par ses publications sur les réseaux sociaux. Certaines de ses positions rejoignent, en partie ou en totalité, celles de ténors républicains sur la censure de la Big Tech, l’élection présidentielle de 2020, l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole et les personnes transgenres. L’homme de 42 ans semble également nourrir des opinions profondément racistes et antisémites.

Toutefois, il ne mentionne pas Nancy Pelosi dans ses publications. Mais la question qu’il a répétée durant l’agression de Paul Pelosi, selon plusieurs médias — « Où est Nancy ? » —, rappelle celle de certains émeutiers lors de l’assaut du Capitole — « Où es-tu, Nancy ? ».

Des républicains, dont le sénateur du Kentucky Mitch McConnell, ont exprimé l’horreur et le dégoût que leur a inspirés l’agression de Paul Pelosi. D’autres ont gardé le silence, dont Donald Trump, qui a déjà qualifié Nancy Pelosi de « personne méchante, vindicative et horrible ».

Dans les 24 premières heures suivant l’agression, aucun n’a exaucé le vœu du représentant démocrate de Californie Eric Swalwell, qui avait appelé les dirigeants républicains à dénoncer la violence.

Cette violence ne menace pas seulement les démocrates, comme l’a démontré en juin dernier l’arrestation d’un homme armé près de la maison du juge conservateur de la Cour suprême Brett Kavanaugh.

Mais, vendredi dernier, elle semble avoir ciblé une femme diabolisée depuis 20 ans par les républicains.

Jamais à la une du Time

Dans Madam Speaker, sa biographie de Nancy Pelosi publiée l’an dernier, Susan Page décrit les mille et une façons dont la présidente de la Chambre des représentants a été sous-estimée au cours de sa carrière politique, souvent en raison de son sexe.

Mais Pelosi n’a jamais crié au sexisme, à une exception près. Elle n’a pas encore digéré le fait que le magazine Time n’a pas cru bon de lui consacrer sa couverture pour souligner la page d’histoire qu’elle a écrite en 2007 en devenant la première femme à occuper le poste de « Speaker of the House », ou tout autre de ses exploits législatifs au cours de ses quatre premières années à ce poste.

Deux semaines après la dégelée démocrate de novembre 2010, sa colère a monté d’un cran en voyant, à la une du Time, la photo de son successeur républicain, John Boehner, accompagnée du titre : « Mister Speaker ».