Les « boîtes à bébés » permettant à des femmes en difficulté d’abandonner leur nouveau-né dans l’anonymat le plus complet se multiplient aux États-Unis.

L’Indiana, l’Ohio, le Kentucky et l’Alabama disposent notamment de boîtes de cette nature, qui sont aménagées dans des postes de pompiers ou des établissements de santé.

Lorsqu’un bébé est déposé de l’extérieur, une alarme sonne, permettant sa prise en charge rapide par le personnel présent dans l’établissement tout en donnant le temps à la mère de partir sans être vue.

Monica Kelsey, résidante de l’Indiana, est une des principales promotrices de cette approche.

Son organisation, Safe Haven Baby Boxes, a installé depuis 2016 une centaine de boîtes à bébés réparties dans sept États et prévoit couvrir quatre États de plus d’ici la fin de l’année, relate-t-elle en entrevue.

L’idée première, note Mme Kelsey, est de s’assurer qu’aucun bébé n’est abandonné dans des conditions dangereuses par une mère qui craint de se présenter dans un établissement pour y remettre son enfant.

Crainte d’être stigmatisée

La plupart des États américains disposent de lois qui permettent ce type de transfert sans accusation criminelle, mais elles prévoient normalement que la remise de l’enfant se fasse en personne.

La peur d’être reconnue dans une petite ville ou d’être stigmatisée peut notamment constituer un frein pour une mère en difficulté, relève Mme Kelsey.

« Si les femmes ne veulent pas se présenter en personne, on ne peut pas se contenter de frapper du poing sur la table et dire que ça doit être comme ça », dit-elle en racontant le cas d’une mère qui a traversé deux États pour pouvoir utiliser une des boîtes de l’organisation sans craindre d’être reconnue.

En cinq ans, une vingtaine d’enfants ont été déposés dans les boîtes de l’organisation avant d’être pris en charge par les responsables locaux des services sociaux en vue d’une adoption.

Avortement

L’intérêt pour les remises anonymes de nouveau-nés a reçu un appui imprévu l’été dernier de la Cour suprême dans le jugement abrogeant l’arrêt Roe c. Wade.

Le juge Samuel Alito a affirmé qu’il s’agissait de l’un des « développements modernes » limitant potentiellement la nécessité du droit à l’avortement.

Mme Kelsey, qui est opposée à ce type d’interprétation, dit avoir été étonnée par ce passage du jugement.

Nous n’avons jamais cherché à présenter les boîtes comme une solution de rechange pour éviter l’avortement.

Monica Kelsey, fondatrice de l’organisation Safe Haven Baby Boxes

Le recours aux boîtes à bébés n’en demeure pas moins consternant pour Maria Laurino, une écrivaine new-yorkaise qui y voit une « horreur » d’origine médiévale.

L’auteure, qui est sur le point de publier un livre sur le traitement des mères célibataires dans les années 1950 et 1960 en Italie, note que ce phénomène rappelle les ruote (tours d’abandon), des boîtes pivotantes qui permettaient de déposer anonymement un nouveau-né et qui ont perduré des centaines d’années avec l’assentiment de l’Église catholique.

Il est « choquant » d’imaginer que l’on puisse en venir à considérer comme un scénario « acceptable » que des femmes américaines utilisent aujourd’hui un système similaire, note Mme Laurino.

L’usage de boîtes à bébés favorise par ailleurs des adoptions anonymes qui empêchent les enfants de renouer ultimement avec leurs parents biologiques et garantissent des « années de souffrance inutile », ajoute-t-elle.

Dans un courriel envoyé à La Presse, le National Council for Adoption affirme qu’il est préférable que de futurs parents reçoivent des informations détaillées avant terme sur l’adoption pour pouvoir prendre une « décision éclairée ».

Au Canada

Quelques boîtes à bébés de cette nature existent au Canada, principalement dans l’ouest du pays.

L’une d’elles a été aménagée à l’hôpital St. Paul, un établissement confessionnel de Vancouver. Shaf Hussain, un porte-parole de l’établissement, indique que deux bébés y ont été recueillis en 15 ans.

Ce petit nombre ne doit pas être vu comme un signe que l’initiative est inutile, dit M. Hussain.

La députée et historienne Christine Labrie, qui a étudié les raisons ayant poussé des femmes québécoises à donner leur enfant en adoption dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, souligne que les « principaux moyens » mis en place dans la province pour permettre le processus ne prévoyaient pas l’utilisation de telles boîtes.

L’élue voit le recours à cette pratique aux États-Unis comme un signe « inquiétant ».

Ça présuppose que l’on s’attend à ce que des femmes enceintes mènent leur grossesse à terme et accouchent sans recevoir d’aide ou de suivi.

Christine Labrie, députée et historienne

Un tel scénario témoigne d’une « détresse inimaginable » et ne devrait jamais survenir, relève Maria Laurino.

Monica Kelsey répète de son côté qu’elle veut simplement s’assurer qu’aucun bébé ne soit abandonné dans des situations dangereuses.

« Notre but est de permettre aux jeunes mères de faire ce qu’elles estiment être le mieux pour leur enfant, sans jugement », souligne-t-elle.

En chiffres

4524 

Nombre de nouveau-nés remis légalement aux autorités aux États-Unis sous le couvert de l’anonymat depuis 1999

1610 

Nombre d’enfants abandonnés illégalement aux États-Unis de manière « dangereuse », par exemple dans une benne à ordures, depuis 1999

100 000 

Nombre annuel d’adoptions aux États-Unis d’enfants d’origine américaine

930 000 

Nombre d’avortements aux États-Unis en 2020

Sources : National Safe Haven Alliance, National Council for Adoption, Guttmacher Institute