(Eagle Pass) José a traversé sept pays pour fuir Caracas et rejoindre les États-Unis. Mais lorsqu’il a enfin embrassé son épouse sur le sol américain mercredi, la joie de ce Vénézuélien a été de courte durée.

Quelques minutes plus tard, il a appris que son fils de 22 ans, actuellement au milieu d’une périlleuse odyssée pour tenter de le rejoindre, sera automatiquement renvoyé s’il atteint la frontière américaine.

« Quand j’ai vu les nouvelles sur TikTok, j’ai immédiatement appelé mon fils et je lui ai demandé de ne pas continuer », raconte José, qui a changé son prénom à sa demande pour des raisons de sécurité.  

Jusque-là, « j’étais plus heureux qu’un gosse à Noël », soupire-t-il.

Le département de la Sécurité intérieure (DHS) a annoncé mercredi que les Vénézuéliens qui traversent illégalement la frontière américaine seront désormais renvoyés automatiquement au Mexique.

En contrepartie, Washington promet d’instaurer un programme humanitaire pour immigrer légalement directement depuis le Venezuela. Inspiré des mesures en vigueur pour les Ukrainiens qui fuient l’invasion russe, il doit concerner 24 000 Vénézuéliens.

L’administration Biden espère ainsi freiner le rythme des arrivées. Depuis octobre 2021, 155 000 Vénézuéliens sont entrés aux États-Unis par la frontière mexicaine, un nombre qui a triplé en l’espace d’un an.

La majorité de ces migrants rejoignent le Texas, comme José, qui n’a pas hésité à s’immerger jusqu’aux épaules pour franchir le fleuve Rio Grande et atteindre le sol américain.

« Très triste »

« Ce n’est rien en comparaison de ce que j’ai dû faire pour arriver jusqu’ici », confie-t-il dans le soleil couchant d’Eagle Pass, ville texane frontalière avec le Mexique, ses chaussures remplies de boue.

Plus de 6 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2015 selon l’ONU, face au régime autoritaire de Nicolas Maduro et au marasme économique.

Beaucoup ont initialement trouvé refuge dans d’autres pays d’Amérique latine. Mais le flux vers les États-Unis a récemment explosé. Washington, qui n’a plus de relations diplomatiques avec Caracas, permettait jusqu’ici aux Vénézuéliens d’être admis aux États-Unis pour déposer une demande d’asile.

Le fils de José était aux portes du Darien, une jungle montagneuse, infestée de serpents et de gangs criminels, qui sépare la Colombie du Panama, lorsque son père lui a demandé de rebrousser chemin.

« Je suis très triste, et lui aussi, parce que nous allions enfin pouvoir être tous ensemble », souffle José. « Mais cela m’attristerait trop qu’il se donne autant de peine pour qu’ils le renvoient au Mexique, où […] la police nous maltraite. »

Pour accepter de fermer les yeux, « un policier mexicain va te dire : “c’est 500 dollars”, et si tu ne les as pas, il te frappe ou il te vole, ou il te renvoie », raconte-t-il.

Viols et corruption

« Ils sont terribles », confirme Maria (prénom modifié), une Vénézuélienne arrivée dimanche à Eagle Pass pour demander asile.

Mais plus encore que par les policiers mexicains, elle reste marquée par sa traversée du Darien, pour laquelle elle a dû payer 380 dollars à des « guides ».

« C’est horrible », explique-t-elle. Les passeurs « tuent, violent, volent, ce n’est pas du tout comme ce qu’on voit dans les vidéos » diffusées sur les réseaux sociaux.

Malgré ces dangers, les candidats à l’exil continuent d’affluer. En Colombie, au moins 10 000 migrants vénézuéliens étaient regroupés lundi dans le nord du pays, en route vers le Panama à destination des États-Unis, selon les autorités locales.  

Mercredi, Maria a pu retrouver son petit ami en Géorgie, dans le sud-est des États-Unis. Après avoir payé 3000 dollars pour passer du Mexique aux États-Unis, lui n’arrive plus à trouver le sommeil : chaque nuit, il pense à ses trois sœurs actuellement dans le Darien.

Si les Vénézuéliens prennent tant de risques, c’est parce que beaucoup n’ont pas le choix, insiste Maria. Elle souffre d’une maladie chronique. Au Venezuela, « il n’y a pas de médicaments », raconte-t-elle. « Si j’étais restée, je sais que je ne m’en serais pas sortie. »