Une cinquantaine d’immigrants vénézuéliens cherchant asile aux États-Unis ont débarqué mercredi après-midi sur l’île de Martha’s Vineyard, au large de Cape Cod. Et ce n’était pas pour faire du tourisme.

Perdues et éberluées, ces personnes étaient malgré elles au cœur d’une querelle politique entre démocrates et républicains sur l’épineuse question des politiques migratoires américaines.

Elles se sont retrouvées à Martha’s Vineyard à l’initiative du gouverneur républicain de la Floride, Ron DeSantis, qui souhaitait faire la leçon aux démocrates dont les politiques plus libérales face aux immigrants irréguliers hérissent le camp adverse.

« Les résidants de Martha’s Vineyard devraient être ravis, a d’ailleurs ironisé Christina Pushaw, membre de l’équipe de M. DeSantis, sur Twitter. Les migrants illégaux [illegal aliens] rendront la ville plus diversifiée, ce qui est une force. Non ? »

En situation irrégulière ou pas, les Vénézuéliens ont reçu l’aide des habitants de Martha’s Vineyard, île reconnue pour être fréquentée par des vedettes de tous les horizons.

PHOTO FOURNIE PAR GEORGE BRENNAN

George Brennan et son chien Frankie

« La collectivité s’est serré les coudes pour prendre les arrivants en charge, a expliqué George Brennan, rédacteur en chef au quotidien Martha’s Vineyard Times dans une entrevue téléphonique avec La Presse. Ce matin [jeudi], ils se sont réveillés à l’église et ont déjeuné. Et comme il fait frisquet ici, plusieurs avaient froid. Nous leur avons distribué des vêtements chauds. »

M. Brennan a ajouté que les autorités se penchaient maintenant sur les prochains gestes à faire pour venir en aide à ces réfugiés qui, répartis en deux avions, sont descendus à l’aéroport de l’île avec bien peu de renseignements sur leur sort.

PHOTO RON SCHLOERB, ASSOCIATED PRESS

Bénévoles préparant de la nourriture pour les migrants près de l’église épiscopale St. Andrews d’Edgartown, jeudi

Dylan Fernandes, représentant démocrate d’une partie de Cape Cod à la législature du Massachusetts, a déclaré aux médias locaux : « On s’assure d’abord que tout le monde est sain et sauf et aussi à l’aise que possible. À partir de là, nous allons travailler sur des solutions à plus long terme. »

Le bureau du gouverneur républicain du Massachusetts, Charlie Baker, dit aussi suivre la situation de près.

Un jeu politique

Martha’s Vineyard est une petite île de 32 kilomètres de long et 16 kilomètres dans sa plus grande largeur, à une trentaine de kilomètres de la ville de Falmouth (Cape Cod) qui la relie par traversier. Répartie dans six agglomérations, la population y résidant à l’année est d’environ 20 600 personnes, selon le recensement de 2020.

Or, y accueillir 50 immigrants est un défi. « La situation du logement et des prix du logement sur l’île est catastrophique, poursuit George Brennan. Des professeurs, des policiers, des pompiers travaillant sur l’île vivent à l’extérieur de celle-ci et prennent la navette chaque jour. C’est aussi mon cas. »

Il est vrai que des vedettes vivent [sur l’île de Martha’s Vineyard] et que les Obama y ont une maison d’été. Mais nous sommes aussi une communauté de la classe ouvrière. Certains ont de la difficulté avec les fins de mois.

George Brennan, rédacteur en chef au quotidien Martha’s Vineyard Times

Cela dit, le cas de Martha’s Vineyard n’est pas le premier de ce bras de fer politique. Au Texas, le gouverneur républicain Greg Abbott, affirme avoir fait transporter vers des États démocrates du Nord quelque 10 000 immigrants s’étant présentés à la frontière avec le Mexique. Une enquête de CNN a déterminé que le Texas a dépensé 12,7 millions en fonds publics pour envoyer des bus chargés de migrants à Washington et New York, deux villes fortement démocrates.

PHOTO STEFANI REYNOLDS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des migrants venus du Venezuela attendaient jeudi d’être transportés vers une église de Washington après avoir été laissés sans information devant la résidence officielle (Naval Observatory) de la vice-présidente Kamala Harris.

Autre cas, jeudi matin, une centaine d’immigrants arrivés par bus à Washington ont été laissés à deux pas du Naval Observatory, résidence officielle de la vice-présidente Kamala Harris.

La tactique indigne fortement les démocrates. « C’est un jeu politique où l’on utilise des êtres humains comme pions et pour créer le chaos », indique Dylan Fernandes. La Maison-Blanche a qualifié la manœuvre de « honteuse » et « cruelle ».

« Instrumentalisation à l’extrême »

Selon Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l’Observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, la situation illustre qu’il y a un problème à la frontière où le flux de migrants a été très important dans la dernière année. Elle note aussi qu’au départ, la stratégie républicaine a fonctionné. « La majorité des migrants étaient contents de ne pas avoir à payer pour se déplacer de la frontière jusque dans une grande ville où ils ont de la famille », dit-elle.

Mais dans les cas de Martha’s Vineyard et du Naval Observatory où les migrants ont été laissés sur le trottoir sans autre formalité, la donne a changé. « Ça devient problématique quand on instrumentalise ces personnes à l’extrême », dit Mme Beaudoin.

Rappelons que le gouverneur Ron DeSantis a des visées pour devenir le candidat républicain à l’élection présidentielle de 2024. Il est un des rares à montrer autant d’ambition face à un Donald Trump toujours aussi dominant.

En savoir plus
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    Pourcentage de la population non blanche dans l’île de Martha’s Vineyard, selon le recensement de 2020. Elle était de 14 % en 2010 et s’est beaucoup diversifiée.
    source : the vineyard gazette