(Washington) Une visite potentielle à Taïwan de la cheffe des députés américains inquiète l’administration de Joe Biden, qui craint que ce voyage ne franchisse les limites que Pékin est prêt à tolérer.

La Chine a prévenu lundi par la voix d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères qu’elle se « tenait prête » à répondre à une telle visite de Nancy Pelosi le mois prochain, soulignant que les États-Unis « seraient responsables de toutes les conséquences graves » qui en découleraient.

Fait inhabituel, M. Biden lui-même a noté la semaine dernière que l’armée américaine jugeait que cette visite de Mme Pelosi, la cheffe de la Chambre des représentants et à ce titre l’un des plus hauts personnages de l’État américain, n’était « pas une bonne idée ».

Le gouvernement américain craint que la Chine ne fasse pas la différence entre la branche législative de l’État et l’exécutif, d’autant que Pékin considère le soutien grandissant affiché par Washington à Taïwan comme un appui à une déclaration d’indépendance formelle de l’île, que la Chine revendique comme faisant partie de son territoire.

La controverse est malvenue pour Joe Biden, qui pourrait parler à son homologue chinois Xi Jinping dans les prochains jours. Elle intervient aussi au moment où M. Xi, le dirigeant le plus puissant de Chine depuis des décennies, se prépare à renforcer son pouvoir au congrès du Parti communiste qui se tiendra plus tard cette année.

Mme Pelosi n’a pas confirmé si elle effectuerait bien ce voyage, mais elle a dit penser qu’il était « important pour nous d’afficher un soutien à Taïwan ».

L’île démocratique bénéficie d’un large soutien au Congrès et les menaces de Pékin n’ont fait que susciter des appels à Mme Pelosi à maintenir son voyage.

« Il faut que Mme Pelosi se rende à Taïwan et que le président Biden fasse très clairement savoir au président Xi que le parti communiste chinois ne peut strictement rien faire pour l’en empêcher », a ainsi déclaré le sénateur républicain Ben Sasse.

Le gouvernement américain, qui considère la Chine comme son principal concurrent sur la scène internationale, évoque fréquemment la nécessité d’établir des « garde-fous » pour empêcher que les divergences entre les deux pays ne dégénèrent en conflit incontrôlable.

Les chefs de la diplomatie chinoise et américaine, Wang Yi et Antony Blinken, se sont ainsi rencontrés début juillet à Bali pour essayer de détendre les relations entre les deux superpuissances.

Risque de réaction « spectaculaire »

Joe Biden est confronté à « un vrai problème, parce que s’il recule, s’il tente de décourager Nancy Pelosi d’y aller, il apparaîtra faible, s’inclinant devant les pressions chinoises », estime Robert Sutter, de la George Washington University.

Les visites d’élus américains à Taïwan ont suscité jusqu’ici des réactions diverses de la Chine « mais avec celle-ci, ça pourrait être grave », ajoute cet expert. Les dirigeants chinois « vont peut-être penser qu’ils doivent faire quelque chose de spectaculaire si Pelosi arrive effectivement à Taipei », en particulier avant le congrès du parti communiste.  

Une visite de Mme Pelosi ne serait pas une première. Le républicain Newt Gingrich a visité Taïwan en 1997 alors qu’il était président de la Chambre des représentants. La réaction de Pékin avait alors été relativement modérée.

Nancy Pelosi critique ouvertement le régime de Pékin depuis des années. Elle s’est liée d’amitié avec le Dalaï-Lama et en 1991, lors d’une visite à Pékin, elle avait scandalisé ses hôtes chinois en déroulant une bannière sur la place Tiananmen en mémoire aux manifestants prodémocratie qui y avaient été tués deux ans auparavant.

Une stratégie américaine à repenser ?

Face à la montée en puissance de Pékin, les États-Unis soutiennent Taïwan de plus en plus ouvertement.  Joe Biden avait ainsi affirmé en mai que les États-Unis interviendraient militairement pour soutenir l’île en cas d’invasion par la Chine communiste. Il était revenu ensuite en arrière.

Les États-Unis reconnaissent le régime chinois depuis 1979, selon le principe d’une « Chine unique » dont la capitale est à Pékin. Ils ne reconnaissent pas officiellement Taïwan, tout en soutenant militairement l’île.

Lors d’une visite à Taipei en mars, l’ancien chef de la diplomatie américaine de Donald Trump, Mike Pompeo, avait appelé les États-Unis à reconnaître Taïwan comme « pays libre et souverain », soulignant qu’il s’agissait de « la reconnaissance d’une réalité indubitable et déjà existante ».  

Mais pour l’ancienne secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, qui s’exprimait lors d’une conférence à Aspen (Colorado), le principe de la « Chine unique » a permis de contenir les tensions avec Pékin pendant des décennies.