(New York) La date est suspecte, tout comme le type de scrutin. Du moins, aux yeux des défenseurs du droit à l’avortement au Kansas.

Le 2 août, au beau milieu d’un été torride, les électeurs de cet État rural du Midwest seront convoqués à un référendum sur l’avortement, le premier du genre aux États-Unis, à l’occasion de primaires, rendez-vous électoraux où les taux de participation sont habituellement faibles.

« Ce sont des élus et des militants extrémistes qui ont imposé cette date dans le but de limiter le nombre d’électeurs, en pensant que ça aiderait leur cause », a dénoncé à La Presse Ashley All, porte-parole du groupe Kansans for Constitutional Freedom. « Nous nous étions battus pour que le référendum ait lieu en novembre, à l’occasion des élections générales. »

N’empêche : le scrutin du 2 août attirera l’attention de tout le pays. Ce sera la première fois depuis l’abrogation de l’arrêt Roe c. Wade par la Cour suprême, le 24 juin dernier, que des électeurs auront la chance de s’exprimer sur l’avortement.

Ceux du Kansas ne seront évidemment pas les derniers à le faire. D’autres scrutins auront lieu dès novembre, qui pourraient mener à l’abolition de l’avortement. Ce sera notamment le cas des élections pour le poste de gouverneur de Pennsylvanie, du Michigan et de l’Arizona, entre autres.

Au Kansas, les électeurs sont invités à voter sur un amendement qui modifierait la Constitution de l’État pour dire qu’elle ne garantit pas le droit à l’avortement. Selon un sondage récent, les plus susceptibles de participer aux primaires sont très partagés sur la question.

PHOTO GABRIELLA BORTER, REUTERS

Dépliants en faveur d’un amendement à la Constitution du Kansas pour ne plus garantir le droit à l’avortement distribués par le groupe Students for Life dans les rues de Lenexa.

Fait à souligner : un amendement constitutionnel est nécessaire pour abolir l’avortement au Kansas à la suite d’une décision de la Cour suprême de l’État remontant à 2019 et statuant que la charte des droits du Sunflower State « protège le droit d’une femme de décider de poursuivre ou non une grossesse ».

Cette charte des droits représentait une protection du droit des femmes du Kansas à l’avortement encore plus solide que celle conférée par l’arrêt Roe c. Wade.

Cela dit, les promoteurs de l’amendement constitutionnel refusent de reconnaître qu’un « oui » à la question référendaire mènera automatiquement à l’abolition du droit à l’avortement au Kansas.

« Vous ne voulez pas mettre la charrue avant les bœufs et dire quelque chose qui, à la fin, n’arrivera pas », a déclaré Dan Hawkins, chef des républicains de la Chambre des représentants du Kansas.

Ce genre de déclaration incite les militants pro-choix du Kansas à accuser leurs adversaires de mener une campagne « trompeuse ».

Les parlementaires républicains, qui contrôlent les deux chambres au Kansas, ont déjà déposé un projet de loi pour interdire l’avortement dans toutes les circonstances, même en cas d’inceste, de viol, ou quand la vie de la mère est en danger.

Ashley All, porte-parole du groupe Kansans for Constitutional Freedom

« Nous n’avons pas besoin de beaucoup d’imagination pour savoir où nous mènerait l’adoption de l’amendement constitutionnel », a ajouté celle dont le groupe pilote la campagne du « non » au Kansas.

L’organisation Value Them Both, qui orchestre la campagne du « oui », n’a pas répondu à une demande d’entrevue de La Presse.

La mainmise républicaine sur les deux chambres du Parlement du Kansas démontre le conservatisme de cet État. Mais le Kansas n’est quand même pas le Texas. Laura Kelly, une démocrate, occupe le poste de gouverneur de l’État. Elle dit s’opposer aux mesures « régressives qui interfèrent avec les libertés individuelles ».

Aussi a-t-elle promis de mettre son veto à une loi interdisant l’avortement dans son État. Une des questions est de savoir si elle sera réélue en novembre.

Ashley All pense que la question de l’avortement l’aidera.

Surprise potentielle aux urnes

« La vaste majorité des électeurs du Kansas sont en faveur de l’accès des femmes à l’avortement », a-t-elle dit lors d’un entretien téléphonique. « Ils ne veulent pas que le gouvernement se mêle de nos décisions médicales privées. »

En fait, selon un sondage publié à la fin de 2021 par l’Université d’État à Fort Hays, 62 % des électeurs du Kansas estiment que les femmes « sont mieux placées » que les politiciens pour prendre la décision de se faire avorter ou non.

Or, selon un sondage mené auprès des électeurs les plus susceptibles de participer aux primaires républicaines et démocrates du 2 août, 47 % des répondants appuient l’amendement constitutionnel, contre 43 % qui s’y opposent. La marge d’erreur de ce sondage est de 2,7 %.

Mais l’abrogation de l’arrêt Roe c. Wade entraînera peut-être aux urnes un électorat qui surprendra les sondeurs.

« La décision de la Cour suprême a été un signal d’alarme pour de nombreux électeurs modérés du Kansas qui pensaient que l’avortement jouissait d’une protection fédérale », a déclaré Ashley All.

Chose certaine, le résultat du référendum ne touchera pas seulement les femmes du Kansas. Il intéressera également les femmes du Texas, de la Louisiane, de l’Oklahoma et du Missouri, entre autres, qui se rendent ces jours-ci dans cet État pour interrompre leur grossesse après l’abolition de l’avortement dans leur propre État.