(New York) La Constitution des États-Unis fixe à 35 ans l’âge minimum requis pour être élu à la présidence du pays. Mais elle n’établit aucun âge maximum, ce qui dérange bon nombre d’Américains.

« J’espère qu’il y a une limite d’âge », a ironisé l’ancien président Jimmy Carter en septembre 2019, répondant à une question sur les candidatures présidentielles de Joe Biden et de Bernie Sanders, qui affichaient alors respectivement 76 et 78 ans au compteur.

« Si j’avais seulement 80 ans, si j’avais 15 ans de moins, je ne crois pas que je pourrais assumer les fonctions que j’ai connues lorsque j’étais président », a ajouté le nonagénaire sur un ton plus sérieux.

La majorité des électeurs américains — 58 %, pour être précis — estiment qu’un âge maximum devrait être imposé à tous les candidats, peu importe la fonction, selon un sondage YouGovAmerica publié en janvier dernier.

Un mois plus tôt, l’entrepreneur Elon Musk avait proposé une limite d’âge inférieure à 70 ans, ce qui empêcherait aujourd’hui 30 % des sénateurs américains de solliciter de nouveaux mandats.

L’ensemble de l’état-major démocrate à la Chambre des représentants, qui compte trois octogénaires — Nancy Pelosi (82 ans), Steny Hoyer (83 ans) et James Clyburn (81 ans) —, serait également forcé à la retraite.

Joe Biden, lui, atteindra le 20 novembre prochain l’âge où Jimmy Carter estime qu’il n’aurait plus été apte à assumer les fonctions de la présidence. S’il se présente de nouveau à la présidence en 2024, comme il dit en avoir l’intention, et défait son adversaire républicain, il aura 82 ans le jour de son investiture. Or, si l’on considère qu’il y a peu d’emplois qui fassent vieillir autant que la présidence américaine, de quoi aura-t-il l’air en 2026 ou en 2028 ? Et, plus important encore, comment fonctionnera-t-il ?

PHOTO KEVIN D LILES, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

L’ancien président Jimmy Carter, en 2015, qui est aujourd’hui âgé de 97 ans.

« Des murmures démocrates »

Ces questions, les démocrates sont de plus en plus nombreux à se les poser. Le New York Times a fait état récemment de ce questionnement dans un article coiffé d’un titre qui a dû irriter le chef de la Maison-Blanche : « Biden devrait-il se présenter en 2024 ? Des murmures démocrates commencent à s’élever, disant ‟non". »

Même certains de ses défenseurs ont confié au Times des propos qui ont dû paraître trop candides aux yeux de Joe Biden.

« La présidence est un travail monstrueusement éprouvant et la dure réalité est que le président serait plus proche de 90 que de 80 ans à la fin d’un second mandat, et ce serait un problème majeur », a déclaré David Axelrod, stratège des deux campagnes présidentielles victorieuses de Barack Obama.

Après avoir expliqué que Joe Biden ne recevait pas le mérite qui lui revient pour ses réalisations, Axelrod a ajouté : « Et une partie de la raison [de cette situation] est liée aux apparences. »

Il fait son âge et n’est plus aussi agile devant une caméra qu’avant, et cela a alimenté une trame narrative sur ses capacités qui n’est pas ancrée dans la réalité.

David Axelrod, stratège des deux campagnes présidentielles victorieuses de Barack Obama

Cette trame narrative a quitté depuis longtemps les limites de la décence dans certains médias conservateurs. Ceux-ci dépeignent Joe Biden comme un vieillard atteint de sénilité auquel on dit quoi dire et quoi faire, et qui s’égare quand même en lisant son téléprompteur. Certains élus républicains en rajoutent eux-mêmes une couche, mais d’autres refusent de descendre à leur niveau. « Lors des deux rencontres que j’ai eues avec le président, son esprit était aussi affûté qu’une lame de rasoir », a déclaré en mars dernier la sénatrice républicaine de Virginie-Occidentale Shelley Moore Capito.

N’empêche : la question de l’âge de Joe Biden deviendrait incontournable après l’annonce officielle de sa campagne de réélection. Le magazine The Atlantic a donné un avant-goût de ce débat éventuel le mois dernier en publiant sous la signature de Mark Leibovich un article qui s’ouvrait sur ce paragraphe : « Laissez-moi vous le dire sans détour : Joe Biden ne devrait pas se représenter aux élections de 2024. Il est trop vieux. »

Pas de l’âgisme

Pour le gériatre québécois David Lussier, un tel débat ne relèverait pas nécessairement de l’âgisme.

« C’est certain qu’à 82 ans [ou 86 ans à la fin de son mandat], l’énergie est moindre que pour quelqu’un de plus jeune », a-t-il analysé en faisant référence à Joe Biden. « Donc, il pourrait avoir de la difficulté à faire de longues journées. Mais c’est très variable d’une personne à l’autre. »

Le DLussier évoque une autre source d’inquiétude suscitée par le grand âge. Certaines fonctions cognitives, dont celles liées à la vitesse d’exécution ou à la capacité de faire plusieurs choses en même temps, diminuent.

« Pour une tâche aussi exigeante que celle de président des États-Unis, ça pourrait poser un problème. Mais encore là, c’est très variable d’une personne à l’autre. »

Autrement dit, la réalité de Joe Biden à 80 ans ne sera pas nécessairement celle de Jimmy Carter, ou celle de Donald Trump, qui atteindra cet âge en 2026, à la Maison-Blanche ou à Mar-a-Lago.