Américaine arrêtée pour des motifs légitimes en Russie ou otage d’une guerre diplomatique ? Le procès pour trafic et contrebande de drogues de la joueuse de basketball étoile Brittney Griner doit s’ouvrir ce vendredi près de Moscou. La suite pourrait révéler à quel point l’athlète risque de devenir une monnaie d’échange entre les deux puissances.

« Ça ne se présente pas bien », commente William Pomeranz, spécialiste du droit russe et directeur intérimaire du Kennan Institute, rattaché au groupe de réflexion américain Wilson Center, joint par La Presse au téléphone. « C’est presque impossible d’obtenir un acquittement [dans le système criminel russe], et ce procès a des ramifications politiques aussi », ajoute celui qui a exercé deux ans en Russie, en droit commercial et international.

La vedette du Phoenix Mercury, une équipe de la Women’s National Basketball Association (WNBA), a été arrêtée quelques jours avant le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février dernier, dans un aéroport non loin de Moscou. Selon les autorités russes, elle aurait eu en sa possession « des vapoteuses et un liquide présentant une odeur particulière » d’huile de cannabis.

La double médaillée d’or olympique de 31 ans s’expose à une peine de 5 à 10 ans de prison si elle est jugée coupable.

« La Russie est un des pays qui ont une politique de tolérance zéro en ce qui concerne les stupéfiants, souligne William E. Butler, professeur de droit de l’Université d’État de Pennsylvanie, joint par La Presse au téléphone. Chaque année, on doit condamner 80 000 ou 90 000 personnes en Russie pour des infractions liées à la drogue. Ce n’est pas rare. »

Monnaie d’échange

La crainte est que le cas de Mme Griner puisse être traité non pas sur la base des preuves accumulées, mais de sa valeur dans un éventuel échange de prisonniers.

« À ce stade, les faits concernant son cas ne sont plus considérés sous le même angle, note Maria Popova, professeure agrégée de l’Université McGill. Comme elle est américaine, ce n’est pas vraiment pertinent de savoir si elle avait de la drogue ou pas. La question est de savoir si la Russie veut l’échanger contre quelqu’un. »

En avril, un ex-Marine, Trevor Reed, condamné à neuf ans de prison pour violences, a été échangé contre un pilote russe, Konstantin Iarochenko, condamné il y a 12 ans pour trafic de drogues aux États-Unis.

Procès justes

En Russie, la justice n’a pas la même indépendance qu’au Canada, par exemple. Ce qui ne veut pas dire qu’un procès juste n’est pas possible pour les infractions courantes, précisent les experts. Mais lorsqu’il est question de politique, la question devient plus périlleuse.

« Si c’est devenu politique, elle sera condamnée, affirme Jeffrey Kahn, professeur de droit de l’Université Southern Methodist, joint au Texas. Il n’y a pas de doute. Mais si elle est traitée comme une personne ordinaire – en d’autres mots, si ce qu’on entend sur l’intérêt du Kremlin ou peu importe n’est pas vrai –, je pense qu’on pourrait s’attendre à un procès juste. »

Le problème est qu’il y a eu tellement de cas de dissidents, de militants, d’opposants au régime qui n’ont pas eu de procès justes que ça sème une graine de méfiance – de la taille d’un pamplemousse – dans la tête des observateurs de partout dans le monde.

Jeffrey Kahn, professeur de droit de l’Université Southern Methodist

Il s’inquiète des informations reçues jusqu’à maintenant, notamment sur sa détention pendant toute la durée de l’attente du procès – un juge a refusé une assignation à résidence. Le temps consacré à l’enquête, malgré des éléments de preuve semblant assez circonscrits, et la déclaration de l’avocat de Mme Griner sur un procès qui pourrait durer jusqu’à deux mois envoient aussi des signaux préoccupants.

« On ne sait pas si c’est un procès politique, précise-t-il. Mais des preuves commencent à s’accumuler. »

Un exemple… ou pas

En mai dernier, le département d’État américain a déclaré que l’athlète était injustement détenue, sans expliquer les raisons à l’appui de cette conclusion. Son dossier a donc été transféré à l’envoyé spécial des États-Unis responsable des personnes prises en otage.

M. Butler, lui, rappelle qu’on en sait encore très peu sur la défense de l’athlète, qui ne s’est pas exprimée.

Je ne vois pas pourquoi la Russie voudrait en faire un exemple. L’état actuel des relations politiques entre les États n’aide pas, mais je ne vois pas cela nécessairement comme un facteur décisif.

William E. Butler, professeur de droit de l’Université d’État de Pennsylvanie

Comme beaucoup d’athlètes de la WNBA, Brittney Griner profitait de la pause entre deux saisons pour jouer à l’étranger. Elle faisait partie de l’équipe de l’UMMC Iekaterinbourg en Russie depuis 2014.

Une pétition en ligne pour demander son retour aux États-Unis avait accumulé plus de 288 000 signatures jeudi après-midi.

Avec l’Agence France-Presse