(Washington) La magistrate Ketanji Brown Jackson, première femme noire à entrer à la Cour suprême des États-Unis, espère que son expérience de la vie « un peu différente » soit un atout pour la haute juridiction, même si son arrivée ne changera aucun équilibre.

Cette brillante juriste de 51 ans, nommée par le président démocrate Joe Biden, a prêté serment jeudi devant le chef de la haute juridiction, où n’ont siégé, en 233 ans, que deux hommes noirs et aucune Afro-Américaine.

Elle remplace le juge progressiste Stephen Breyer qui prend sa retraite à 83 ans et arrive à un moment charnière : sous l’impulsion de ses magistrats conservateurs majoritaires, la Cour a pris un net virage à droite, en solidifiant le droit au port d’armes et en pulvérisant celui à l’avortement.

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Ketanji Brown Jackson avait été choisie fin février par le président démocrate Joe Biden, qui avait promis pendant sa campagne de nommer, pour la première fois, une femme noire à la plus haute institution judiciaire du pays, vieille de 233 ans.

Ketanji Brown Jackson espère contribuer à réparer l’image dégradée de la Cour. Pendant son audition au Congrès en avril, elle a assumé son rôle de « modèle » pour « les petites filles de tout le pays » et espéré que sa confirmation augmente « la confiance » des Afro-Américains dans le système judiciaire.  

Mais elle a surtout insisté sur une autre de ses différences. Alors que la plupart de ses collègues se sont distingués comme procureurs, Ketanji Brown Jackson a travaillé du côté des accusés : pendant deux ans, elle a été avocate dans les services de l’aide juridictionnelle à Washington, où elle a défendu des prévenus sans ressources.  

Pendant son audition, elle a expliqué avoir été frappée par leur méconnaissance du droit et avoir, une fois devenue juge, pris « grand soin » d’expliquer ses décisions aux condamnés, afin qu’ils comprennent la gravité de leurs actes et la sanction imposée.

Elle a également une expérience intime du système pénal : en 1989, un de ses oncles a écopé d’une peine de prison à vie dans le cadre d’une loi qui imposait automatiquement cette sentence après trois infractions aux règles sur les stupéfiants.  

Même si elle le connaissait peu, « cette expérience familiale l’a sensibilisée à l’impact de la loi sur la vie des gens », a raconté au Washington Post un ami, sous couvert d’anonymat.  

« Fierté »

Ketanji Brown Jackson a, elle, eu une enfance stable, dans une famille d’enseignants installés en Floride. Par « fierté de leur héritage » et « espoir en l’avenir », ses parents lui ont donné un prénom africain, Ketanji Onyika, signifiant « la charmante », a-t-elle raconté au Congrès.

Contrairement à eux, qui « ont vécu personnellement la ségrégation », elle a souligné sa « chance » d’être née après les grandes luttes pour les droits civiques des années 1960 qui ont fait tomber de nombreuses lois racistes.

Elle a pu fréquenter des écoles aux élèves d’origines ethniques diverses – où elle s’est distinguée dans des concours d’éloquence –, décrocher un diplôme de la prestigieuse université de Harvard et mener une riche carrière, tout en fondant une famille avec un chirurgien blanc.

Dès la fin de ses études, elle exerce au sein du temple du droit américain, comme assistante du juge Stephen Breyer. Elle alterne ensuite les expériences dans le privé – au sein de cabinets d’avocats – et le public, notamment à la Commission des peines, une agence indépendante chargée d’harmoniser la politique pénale aux États-Unis.

« Pas des rois »

En 2013, elle franchit une nouvelle étape : le président démocrate Barack Obama la nomme juge fédérale à Washington.

Au cours des huit ans qui suivent, elle rend des dizaines de décisions. Elle désavoue notamment Donald Trump, qui essaie d’empêcher le Congrès de convoquer un de ses conseillers, en écrivant : « les présidents ne sont pas des rois ».

Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden la nomme au sein de l’influente Cour d’appel fédérale de Washington, considérée comme un tremplin pour la Cour suprême. En toute logique, il la choisit en février pour remplacer le juge Breyer qui, à 83 ans, a décidé de se retirer.

À plusieurs reprises, le président loue ses « qualifications extraordinaires », sa « vaste expérience », son « intellect », et son « bilan rigoureux de juge ».

Lors de son audition, plusieurs élus républicains l’accusent toutefois d’avoir rendu des peines trop légères envers des pédopornographes, en écho à leur dénonciation d’un Joe Biden supposé « laxiste ».

Soulignant son « impartialité », elle défend ses décisions et refuse de se laisser entraîner dans leurs batailles idéologiques.

Lors de son précédent processus de confirmation, elle avait déjà juré tenir à l’écart, dans son travail de juge, « ses opinions personnelles et toute autre considération inappropriée », dont sa couleur de peau.

Mais « j’ai peut-être une expérience de la vie différente de celle de mes collègues », avait-elle ajouté. « Et j’espère que cela peut avoir un intérêt. »