(New York) Lorsque Donald Trump a voulu démontrer à la droite américaine qu’il était digne de confiance, il a demandé l’aide de Leonard Leo, qui était alors vice-président de la Federalist Society, organisation de juristes conservateurs et libertariens.

C’était au début de la campagne présidentielle de 2016. Leo a répondu en dressant une liste de candidats à la succession du juge ultraconservateur de la Cour suprême Antonin Scalia, mort subitement. Et Trump s’est empressé de la dévoiler.

Aujourd’hui, Leonard Leo et la Federalist Society peuvent se vanter d’avoir joué un rôle direct dans la sélection et la confirmation de cinq des neuf juges de la Cour suprême : John Roberts, Samuel Alito, Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett.

Cet exploit fait de Leo l’un des hommes les plus influents des États-Unis dont la plupart des Américains n’ont jamais entendu parler. Catholique intégriste et membre de l’Ordre de Malte, ce natif de Long Island est un génie du réseautage. Depuis le début des années 1990, il a créé, grâce à la Federalist Society et à une myriade d’autres organisations, une vaste confrérie de juristes qui interprètent la Constitution selon le sens qu’elle avait lors de son adoption, il y a plus de 200 ans.

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Leonard Leo, ancien vice-président de la Federalist Society

Sa vision est en voie de devenir réalité : noyauter les tribunaux fédéraux pour ramener les États-Unis à une époque où la contraception, l’avortement et le mariage gai n’étaient pas des droits constitutionnels.

Pour parvenir à leurs fins, Leo et ses alliés ont récolté, au fil des ans, des centaines de millions de dollars auprès de milliardaires dont l’identité est souvent inconnue. Mais on sait que Koch Industries, Chevron et la Fondation Richard Mellon Scaife, entre autres, font partie des plus importants bailleurs de fonds de la Federalist Society. Ceux-ci ont en commun de s’opposer à toute mesure de lutte contre le réchauffement climatique susceptible de menacer leurs intérêts.

Et la nouvelle majorité de la Cour suprême pourrait exaucer l’un de leurs vœux les plus chers, dès cette semaine ou la semaine prochaine, et justifier chacun de leurs dons à la Federalist Society et aux autres organisations de Leonard Leo.

« Le pire est à venir. » Vendredi dernier, après l’abrogation de l’arrêt Roe c. Wade, cette phrase a franchi les lèvres de nombreuses personnes inquiètes de l’avenir des droits des Américains.

Mais ce « pire » pourrait aussi avoir un effet planétaire à la suite de la décision que la Cour suprême doit rendre dans la cause « Virginie-Occidentale c. Agence de protection de l’environnement (EPA) ».

Le plus haut tribunal américain est appelé à déterminer si l’EPA, une agence du gouvernement fédéral, a le pouvoir de réguler les émissions de gaz à effet de serre des centrales au charbon, qui produisent près de 20 % de l’électricité aux États-Unis.

En 2007, par la plus courte majorité, la Cour suprême avait reconnu à l’EPA ce pouvoir, au même titre que cette agence est chargée par le Clean Air Act, une loi des années 1960, de limiter la pollution de l’air.

Or, la Cour suprême a été transformée depuis 2007. Elle compte désormais des juges ultraconservateurs qui veulent démanteler ce qu’on appelle l’« État administratif », incarné ici par l’EPA. En mars dernier, lors de l’audition de la cause « Virginie-Occidentale c. EPA », ces mêmes juges ont sympathisé avec l’argument des plaignants – 15 procureurs généraux d’États conservateurs – selon lequel il revient au Congrès – et non à l’EPA – de réguler les émissions de CO2 des centrales au charbon.

Le hic, c’est que le Congrès ne fera probablement rien pour lutter contre le réchauffement planétaire, étant sous l’influence des mêmes donateurs qui ont financé le lobbyisme juridique de la Federalist Society et les campagnes électorales des procureurs généraux républicains.

Un tel scénario, combiné à une décision de la Cour suprême de retirer à l’EPA la capacité de réguler les émissions de CO2 des centrales au charbon, serait catastrophique pour la planète, selon les défenseurs de l’environnement.

« Sans effort pour réduire les gaz à effet de serre, les températures pourraient augmenter jusqu’à 5,6 °C avec des impacts irréversibles pour des milliers d’années », ont écrit à la Cour suprême des scientifiques du climat.

Mais Leonard Leo n’entend pas s’arrêter là. À la tête d’une nouvelle organisation, CRC Advisors, l’ancien vice-président de la Federalist Society pilote l’action judiciaire des procureurs généraux républicains et cible les règles de l’« État administratif » à contester devant les tribunaux.

L’une de ces règles, annoncée en 2021 par l’administration Biden, vise à réduire la pollution automobile en obligeant les constructeurs à vendre davantage de véhicules électriques.

Quand ils se saisiront de cette cause, les juges ultraconservateurs de la Cour suprême, qui doivent en partie leur position à l’argent de Koch Industries et de Chevron, scruteront la Constitution et ne verront aucune mention de véhicules électriques. Peut-on douter de leur verdict ?