(New York) Ce samedi matin, les femmes d’au moins 16 États américains font face à une nouvelle réalité : le droit constitutionnel à l’avortement dont elles bénéficiaient depuis 1973 leur a été retiré – ou le sera bientôt.

Elles vivent au Texas, au Nebraska, au Wisconsin ou dans l’un des autres États qui ont adopté des lois interdisant l’avortement dès l’abrogation par la Cour suprême de l’arrêt Roe c. Wade ou dans les semaines ou mois qui suivent.

Dans environ 10 autres États, dont la Floride et la Caroline du Sud, les femmes peuvent encore se faire avorter, mais ce droit sera bientôt restreint, parfois de façon considérable, et peut-être même menacé.

Pour environ la moitié des États américains, rien ne changera, sinon l’afflux de femmes qui arriveront d’ailleurs au pays pour se faire avorter.

Telle est la nouvelle donne qui découle de l’élimination d’un arrêt à laquelle les Américains se préparaient depuis près de deux mois, à la suite de la fuite du brouillon d’une décision majoritaire, mais qui a tout de même créé une onde de choc et provoqué des manifestations dans plusieurs villes américaines.

Par six voix contre trois, la nouvelle majorité conservatrice de la Cour suprême a réalisé le vieux rêve de la droite religieuse, en invalidant une décision qui autorisait depuis près de 50 ans l’avortement jusqu’à la viabilité fœtale (entre 22 et 24 semaines).

« Jour triste pour le pays »

Accueillie avec une joie débordante par les élus et les militants antiavortements, cette décision a semé la consternation chez les défenseurs du droit des femmes à l’avortement, qui jouissent de l’appui de la majorité des Américains selon les sondages.

À la Maison-Blanche, Joe Biden a dénoncé une décision qui « met aujourd’hui en danger la santé et la vie des femmes de cette nation ». Il a aussi rappelé le rôle joué par son prédécesseur dans ce qu’il a qualifié de « jour triste pour le pays ». 

« Ce sont trois juges nommés par un président, Donald Trump, qui ont été au cœur de la décision d’aujourd’hui de renverser la balance de la justice et d’éliminer un droit fondamental pour les femmes de ce pays. Ne vous méprenez pas, cette décision est l’aboutissement d’un effort délibéré depuis des décennies pour bouleverser l’équilibre de notre droit », a-t-il dit.

C’est la réalisation d’une idéologie extrême et une erreur tragique de la Cour suprême à mon avis.

Joe Biden, président des États-Unis

Une erreur que le président n’a cependant pas le pouvoir de corriger à lui seul, a prévenu Joe Biden, exhortant du même coup les Américains à se rendre aux urnes à l’automne pour élire des représentants et des sénateurs « qui inscriront le droit de choisir des femmes dans la loi fédérale une fois de plus ».

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La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, en conférence de presse au Capitole, à Washington, vendredi

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a également affirmé que « les droits des femmes et de tous les Américains seront en jeu en novembre » à la suite d’une décision qu’elle a qualifiée de « cruelle », « scandaleuse » et « déchirante ».

« C’est la volonté de Dieu », a déclaré de son côté Donald Trump.

Prochain combat de la droite religieuse

Tout en félicitant les juges de la majorité conservatrice d’avoir eu « le courage de leurs convictions », Mike Pence a donné un aperçu du prochain combat de la droite religieuse : l’interdiction de l’avortement à l’échelle nationale.

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Mike Pence, ancien vice-président des États-Unis

« Ayant reçu cette seconde chance de vivre, nous ne devons pas nous reposer et ne devons pas relâcher nos efforts jusqu’à ce que le caractère sacré de la vie soit remis au centre de la loi américaine dans chaque État du pays », a déclaré l’ancien vice-président, qui nourrit des ambitions présidentielles.

À l’autre bout du spectre politique, la représentante démocrate de New York Alexandria Ocasio-Cortez a appelé les progressistes à participer à un « combat générationnel ».

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La représentante démocrate de New York Alexandria Ocasio-Cortez a manifesté avec d’autres devant la Cour suprême des États-Unis, à Washington, vendredi.

« Nous devons nous atteler », a-t-elle déclaré à une foule de manifestants réunis devant l’édifice de la Cour suprême.

Différend entre les juges

La plus haute juridiction américaine était appelée à se prononcer sur une loi du Mississippi interdisant l’avortement après 15 semaines. La majorité conservatrice ne s’est pas contentée de valider cette loi. Elle en a profité pour vider la question sur les deux arrêts de la Cour concernant l’avortement – Roe c. Wade (1973) et Casey c. Planned Parenthood (1992).

« L’avortement présente une question morale profonde », a écrit le juge Samuel Alito, auteur de la décision majoritaire, après avoir évoqué les « conséquences désastreuses » de l’arrêt Roe c. Wade, qui a « enflammé le débat et approfondi les divisions ».

« Nous considérons que la Constitution ne confère pas un droit à l’avortement. Elle n’interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d’interdire l’avortement. Roe et Casey se sont arrogé cette autorité. Nous annulons maintenant ces décisions et rendons cette autorité au peuple et à ses représentants élus », a-t-il ajouté.

Le président de la Cour, John Roberts, s’est joint à la décision majoritaire avec Clarence Thomas et les trois autres juges nommés par Donald Trump – Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett. Mais il a critiqué la précipitation avec laquelle ils ont choisi de trancher la question de Roe c. Wade.

Ce différend illustre la radicalisation d’une Cour qui, plus tôt cette semaine, a créé une autre brèche dans le « mur » qui sépare l’Église de l’État et renforcé les droits des proarmes.

Et ce n’est vraisemblablement pas fini. Le juge Clarence Thomas a indiqué dans une opinion concourante qu’il était prêt à en découdre avec les arrêts garantissant les droits à la contraception et au mariage gai, entre autres.

En attendant, les juges progressistes de la Cour ont déploré dans leur opinion dissidente la perte pour des millions d’Américaines d’une « protection constitutionnelle fondamentale » à la suite de l’abrogation de Roe c. Wade.

« La perte de pouvoir, de contrôle et de dignité sera immense », ont écrit les juges Stephen Breyer, Sonia Sotomayor et Elena Kagan.