(Washington) Des partisans du droit à l’avortement se sont mobilisés samedi aux États-Unis pour une deuxième journée de manifestations contre la décision de la Cour suprême de pulvériser ce que beaucoup pensaient être un acquis.

En révoquant son arrêt emblématique « Roe v. Wade », qui depuis 1973 garantissait le droit des Américaines à avorter, la haute cour laisse aux États le choix d’interdire ou non les avortements dans un pays profondément divisé.

Des milliers de personnes se sont rassemblées samedi devant la Cour suprême à Washington, entourée de barrières et placée sous protection policière.

PHOTO ROBERTO SCHMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manifestants pro-choix et antiavortement devant la Cour suprême des États-Unis, samedi.

« Ce qui s’est passé hier, c’est indescriptible et dégoûtant », s’est exclamée Mia Stagner, une étudiante en sciences politiques de 19 ans. « Aucune femme ne devrait être forcée à devenir mère ».

Autour d’elle, des défenseurs du droit à l’avortement scandaient « séparation de l’Église et de l’État », ou encore « mon corps, mon choix ».  

Mais si la décision a horrifié les militants progressistes, elle a réjoui ceux qui, notamment au sein de la droite religieuse, luttaient pour son annulation depuis des décennies. Quelques dizaines de personnes anti-avortement étaient aussi venues samedi devant la Cour.

« Je crois au caractère sacré et à la dignité de la vie humaine », a déclaré Savannah Craven, militante anti-avortement de « Live action group ». « La vie commence dans l’utérus, la vie commence à la conception ».

Plusieurs centaines de défenseurs du droit à l’avortement se sont aussi rassemblés à Los Angeles et des protestations étaient prévues dans d’autres villes, notamment dans les États qui ont profité de l’arrêt de la Cour pour bannir immédiatement les interruptions de grossesse sur leur sol.

Alors que les cliniques du Missouri, Dakota du Sud ou de Géorgie fermaient leurs portes les unes après les autres, des États démocrates, comme la Californie ou New York, se sont engagés à défendre l’accès aux avortements sur leur sol.

PHOTO ANGELA WEISS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation devant la dernière clinique à pratiquer des avortements à St. Louis, au Missouri

Le président Joe Biden a dit samedi avant de s’envoler pour l’Europe savoir « à quel point cette décision est douloureuse et dévastatrice pour beaucoup d’Américains ».  

« Un moment effrayant »

Vendredi, il avait appelé les Américains à défendre le droit à l’avortement lors des élections de mi-mandat en novembre.

Les défenseurs du droit à l’avortement craignent aussi que la Cour suprême, forte d’une claire majorité conservatrice, ne revienne sur d’autres droits comme le mariage pour tous ou la contraception.

« Ils s’en sont pris aux femmes. Ils vont s’en prendre à la communauté LGBT et la contraception », a déclaré Caroline Keller, une manifestante rencontrée devant la Cour suprême.

Cette perspective « nous inquiète » et « nous allons avoir des situations cauchemardesques », a reconnu la porte-parole de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, à bord d’Air Force One. « C’est un moment effrayant ».

Vendredi, deux manifestations avaient été marquées par des violences. À Cedar Rapids, dans l’Iowa, une camionnette a foncé dans un groupe de manifestants, blessant une femme, selon les médias locaux.

PHOTO ISACC DAVIS, VIA REUTERS

En Iowa, une camionnette a foncé dans un groupe de manifestants, blessant une femme, selon les médias locaux.

Et en Arizona, la police a reconnu avoir usé de gaz lacrymogène pour disperser des manifestants qui « frappaient de façon répétée les vitres du Sénat de l’État ».

PHOTO ANTRANIK TAVITIAN, USA TODAY NETW VIA REUTERS

La police a utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants, en Arizona.

À Los Angeles, une manifestation a été dispersée de façon musclée par des policiers équipés de matraques.

PHOTO FREDERIC J. BROWN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une forte présence policière était sur les lieux d’une manifestation à Los Angeles.

Pauvres et minorités pénalisés

Selon l’institut Guttmacher, un centre de recherche qui milite pour l’accès à la contraception et à l’avortement dans le monde, la moitié des États devraient interdire à plus ou moins court terme les avortements.

En quelques heures vendredi, au moins huit États ont rendu immédiatement tout avortement illégal.

Sept autres ont prévu de faire de même dans les prochaines semaines, mais dans les faits, les cliniques y ont déjà cessé d’effectuer des avortements, comme au Texas, le plus vaste État américain, où les femmes souhaitant un avortement devront désormais faire des centaines de kilomètres pour se rendre à la clinique la plus proche, au Nouveau-Mexique.

Dans une partie du pays, les femmes désirant avorter seront obligées de poursuivre leur grossesse, de se débrouiller clandestinement notamment en se procurant des pilules abortives sur l’internet, ou de voyager dans d’autres États où les avortements resteront légales.  

Anticipant un afflux, ces États, le plus souvent démocrates, ont pris des mesures pour faciliter l’accès à l’avortement sur leur sol et les cliniques ont commencé à basculer leurs ressources en personnel et équipement.

Mais voyager est coûteux et la décision de la Cour suprême pénalisera davantage les femmes pauvres ou élevant seules des enfants, qui sont surreprésentées dans les minorités noires et hispaniques, soulignent les défenseurs du droit à l’avortement.

L’organisation Parenthood planned (Planning familial), qui milite pour le droit à l’avortement, a indiqué samedi dans un communiqué à l’AFP avoir vu le nombre de dons qu’elle reçoit normalement en une journée multiplier par 40. « C’est juste le début et nous ne céderons pas », a affirmé Kelley Robinson, vice-présidente de cette association.