(New York) Une décision « scandaleuse » et « stupide » qui risque de transformer New York en « Far West » : dirigeants et habitants de l’État à la législation parmi les plus strictes des États-Unis sur les armes à feu, ont dénoncé l’arrêt jeudi de la Cour suprême qui consacre le droit des Américains à sortir armés de chez eux.

La plus haute juridiction du pays a invalidé les « restrictions » au port d’armes prévues par une loi de l’État de New York, alors même que l’Amérique est confrontée à une flambée de la criminalité dans les grandes villes et à une effrayante série de tueries de masse, dont deux en mai, à Buffalo (10 morts afro-américains) et dans une école au Texas (21 tués, dont 19 enfants).

« C’est stupide, tout simplement stupide », s’écrie Sushmita Peters, une New-Yorkaise de l’arrondissement populaire de Queens qui dit redouter de nouveaux massacres à « l’école ou l’hôpital ».

« Dorénavant, on ne peut avoir confiance en personne », pense cette employée de 23 ans.

Dès l’annonce choc de l’arrêt de la Cour suprême à Washington, Kathy Hochul, gouverneure démocrate du quatrième État du pays (20 millions d’habitants) s’est insurgé contre une décision « scandaleuse, absolument scandaleuse » qui « supprime nos droits de jouir de restrictions sensées » sur les armes à feu.

PHOTO KEVIN P. COUGHLIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Kathy Hochul, gouverneure démocrate de l’État de New York, a dénoncé une décision « scandaleuse, absolument scandaleuse ».

« Je suis navrée que ce jour sombre soit advenu », a ajouté l’élue.

« Vague de violences »

De son côté, le maire Eric Adams de la ville de New York, mosaïque culturelle aux profondes inégalités socio-économiques de neuf millions d’âmes, a dit sa crainte que la jurisprudence de la Cour suprême n’alimente « une vague de violences par arme à feu ».

Cet édile afro-américain à poigne, ancien capitaine de police qui a fait de la lutte contre la violence par arme à feu la colonne vertébrale de son mandat, a promis « une coopération pour juguler les risques créés par cette décision ».

Car « on ne peut pas laisser New York se transformer en Far West », a-t-il lancé.

Mme Hochul s’en est prise aussi à l’absence de « limites au second amendement » de la Constitution américaine, en allusion à la disposition de 1791 qui protège aux États-Unis depuis plus de 200 ans le droit de posséder une arme à feu.

La gouverneure a accusé enfin les juges conservateurs de la Cour suprême d’avoir agi de manière « imprudente » et promis de « protéger les New-Yorkais de la violence par armes à feu ».

Sa collègue démocrate à la tête de la justice de New York, la très active procureure générale Letitia James, s’est engagée à « défendre la constitutionnalité des lois » de l’État de New York face à la justice fédérale.

New York s’inquiète

La décision de la Cour suprême porte sur une loi new-yorkaise qui limite depuis 1913 la délivrance de permis de port d’armes dissimulées aux personnes ayant des raisons de croire qu’elles pourraient avoir à se défendre, par exemple en raison de leur métier ou de menaces les visant.

Cette législation était contestée en justice par deux propriétaires d’armes à feu, qui s’étaient vu refuser des permis, et par une filiale de la puissante National Rifle Association (NRA), qui milite pour une lecture littérale du deuxième amendement de la Constitution.

Interrogés par l’AFP, des habitants de New York, ville qui penche nettement à gauche, ont exprimé leur « inquiétude » que « de plus en plus de gens puissent porter des armes » .

Comme Laurent Baud, un homme d’affaires de 38 ans, qui trouvait « les gens très à l’aise ces dernières années car la ville était très sûre », après les décennies 1970-1980 de grandes violences. « Mais ça reste New York et je crois qu’on a toujours besoin de faire attention », souffle-t-il.

Keith Evans, un professionnel de santé retraité de 80 ans, originaire du Colorado, critique, fataliste, le système politique américain composé du « lobby des armes, de la NRA et de politiciens qui ne pensent qu’à leur réélection » .  

Seul Sam, un New-Yorkais de 75 ans, et qui refuse de donner son nom, trouve que « c’est une bonne idée, l’autodéfense, car quand quelqu’un sait que vous portez une arme, il se comporte prudemment ».

Chat et souris

Gavin Newsom, gouverneur de Californie, l’État le plus peuplé des États-Unis, a fustigé sur Twitter une décision « honteuse » et « dangereuse » : un arrêt de la plus haute juridiction américaine qui risque d’« encourager un programme idéologique radical » tout en restreignant « les droits des États à protéger leurs citoyens (du risque) d’être abattus dans la rue, à l’école, à l’église ».

Outre la Californie et New York, dirigés par des démocrates, les États du Maryland, du Massachusetts, du New Jersey, de Hawaii et du District de Columbia, c’est-à-dire la capitale Washington, exigent également un tel permis de port d’armes.

En Californie, la délivrance de ce sésame dépend des shérifs et de policiers locaux, en fonction des comtés et de leurs couleurs politiques.

Il est plus facile d’obtenir un permis dans un comté rural républicain qu’à San Francisco, l’une des villes les plus « progressistes » des États-Unis.

La décision choc de la Cour suprême ne vient pas immédiatement casser les législations locales restrictives au port d’armes mais va certainement provoquer de multiples recours en justice.

« Il va y avoir un jeu du chat et de la souris qui sera intéressant à observer » entre progressistes et conservateurs, prédit ainsi Jeffrey Fagan, professeur de droit à l’université Columbia à New York.

Fidèles à leur position depuis toujours, des élus du parti républicain ont loué la décision de la Cour suprême : leur patron à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a estimé sur Twitter que l’arrêt « garantissait le droit des Américains respectueux des lois de se protéger sans interférence du gouvernement » fédéral.

Mais dans la soirée, le Sénat des États-Unis a adopté un projet de loi soutenu par des élus des deux principaux partis, avec des restrictions sur l’accès aux armes à feu et des milliards de dollars pour financer la santé mentale et la sécurité dans les écoles. Le projet, adopté par 65 voix — dont quinze républicains — contre 33, a toutes les chances d’être validé à la Chambre des représentants vendredi.