Le débat sur l’accès aux armes à feu a fait irruption à Uvalde, dimanche, au moment où des centaines de visiteurs envahissaient la ville pour tenter d’apercevoir le président des États-Unis, Joe Biden, venu consoler les familles endeuillées.

(Uvalde, Texas) « Taisez-vous ! Partez de ma ville ! », hurle une résidante d’Uvalde, au Texas, aux visiteurs exhortant le président des États-Unis, Joe Biden, à restreindre l’accès aux armes à feu, avant de fondre en larmes. La scène chaotique se déroule à la sortie de l’Église catholique Sacré-Cœur, dans un quartier tranquille, que le couple Biden vient tout juste de quitter.

Le président américain et la première dame, Jill Biden, sont venus dimanche à Uvalde, où 19 enfants et 2 enseignantes ont été abattus dans une école primaire, semant l’effroi et la désolation. Il s’agit de la pire tuerie dans une école de l’histoire de l’État.

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Le président Joe Biden et la première dame Jill Biden se recueillent devant les photos des victimes.

Après être allé se recueillir au mémorial des victimes devant l’école primaire Robb, où s’est déroulé le massacre, le couple Biden a assisté à une messe à l’église Sacré-Cœur. À l’extérieur du bâtiment de brique couleur sable, et de l’autre côté d’un périmètre sous haute surveillance, une petite foule attendait dans une chaleur torride dans l’espoir d’apercevoir le couple à sa sortie.

Des résidants d’Uvalde y côtoient des visiteurs venus d’aussi loin qu’Austin, à 250 kilomètres. Soledad Marquez et ses deux adolescentes sont là parce que « c’est un moment historique ». Mais pour Anson Bills, résidant de la ville endeuillée et père de trois garçons dont un fréquente l’école Robb, la visite présidentielle est plus ambiguë. « J’espère qu’il est vraiment là pour les victimes, lance-t-il. Et pas pour faire un spectacle. »

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Soledad Marquez (au centre) et ses filles Nayala Vera et Isabella Vera se sont déplacées à Uvalde pour présenter leurs respects aux victimes et tenter d’apercevoir le couple Biden.

Préoccupations politiques

La crainte d’utiliser la visite du couple présidentiel pour faire avancer un programme politique était palpable chez certains résidants locaux dimanche, dont une femme très émotive à l’avant de la foule.

Jusqu’à présent, le débat sur les armes à feu était en sourdine dans la petite ville ébranlée où plusieurs résidants ont raconté dans les derniers jours à La Presse qu’ils préféraient éviter le clivage politique.

Mais dans le rassemblement à l’extérieur de l’église, les discussions en faveur de la restriction de l’accès aux armes à feu allaient bon train. « Quelque chose doit être fait pour arrêter toutes ces fusillades », soutient Beau Cheatham, 18 ans, qui possède pourtant une arme à feu. « Les fusils ont toujours fait partie de nos vies, reconnaît-il, mais quelque chose doit changer. »

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Sheldon Wolf, Beau Cheatham et Nathaniel Fascino, âgés entre 18 et 20 ans et venant de San Antonio, se sont arrêtés à Uvalde dimanche pour la visite présidentielle.

Après plus d’une heure d’attente à plus de 36 degrés Celsius, les espoirs des dizaines de personnes rassemblées au soleil sont comblés : le couple Biden marche bien en vue, jusqu’à sa limousine. La foule devient enfiévrée, les gens se pressant les uns contre les autres pour mieux voir et filmer son passage.

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« Faites quelque chose ! », se mettent bientôt à scander certaines personnes présentes, exhortant le président Biden à en faire plus pour restreindre l’accès aux armes à feu.

« Arrêtez ! Arrêtez ! », répond en hurlant une dame à l’avant, comme si les visiteurs ruinaient pour elle la visite présidentielle tout en insultant les victimes de la fusillade. « Quittez ma ville ! », ajoute-t-elle en sanglotant, entourée par sa famille. La dame n’a toutefois pas voulu parler à La Presse après coup.

« Nous le ferons », répond le président à la foule, avant de s’engouffrer dans la voiture noire, en direction d’un centre communautaire où il rencontrera les familles des victimes. Les médias n’y avaient pas accès.

Colère et compassion

Ce n’est pas le seul endroit où les revendications de visiteurs entraient en contradiction avec celles de la population locale dimanche, a observé La Presse. Sur la rue High, près de l’école primaire Robb, deux résidantes de Houston – à 500 kilomètres – portant des pancartes dénonçaient la « lâcheté » de la police d’Uvalde (UPD) – en référence à l’heure qu’ont mis les autorités pour entrer dans la salle de classe où le tireur s’était barricadé avec des élèves.

PHOTO LILA DUSSAULT, LA PRESSE

Deux manifestantes vivant à Houston, mais originaires de la région, s’insurgeaient dimanche contre le travail de la police d’Uvalde. À droite, Sandy Morales. La femme à gauche a préféré ne pas se nommer.

« Vous n’avez aucune idée de ce qu’ils [les policiers] ont vécu ! », lance une conductrice, provoquant la colère de la manifestante sur le trottoir. « Ces enfants avaient des rêves », crache-t-elle à l’adresse de la voiture.

La visite à Uvalde était le deuxième voyage du président Biden en deux semaines pour consoler une communauté en deuil après une fusillade. Il s’est rendu à Buffalo, dans l’État de New York, le 17 mai pour rencontrer les familles des victimes et condamner la suprématie blanche. Un tireur épousant la théorie du « grand remplacement » raciste y a tué 10 personnes dans un supermarché, une semaine avant la tuerie d’Uvalde.

Restreindre l’accès aux armes : des républicains prêts à discuter ?

La position au sein des élus à Washington pourrait jouer en faveur d’une restriction de l’accès aux armes à feu. C’est ce que des sénateurs républicains et démocrates ont affirmé aux chaînes américaines ABC et CNN dimanche. Une généralisation de l’examen des antécédents psychiatriques et judiciaires des acheteurs d’armes serait le compromis le plus accessible, selon les mêmes sources. « Je sais, après chacune de ces tueries, il y a des discussions à Washington, et elles n’aboutissent jamais. Mais cette fois, il y a plus de républicains prêts à discuter », a déclaré à ABC le sénateur démocrate Chris Murphy, qui avait « supplié » mardi ses collègues d’agir.

Avec l’Associated Presse et l’Agence France-Presse