Coup de tonnerre aux États-Unis : le jugement Roe c. Wade protégeant le droit à l’avortement pourrait être annulé par la Cour suprême d’ici juin, a rapporté le média Politico lundi soir.

Dans une fuite de document rarissime de la part de la Cour suprême américaine, Politico a reçu, puis diffusé, l’avant-projet d’une décision majoritaire qui prévoit annuler l’arrêt Roe c. Wade. Le document de 98 pages a été rédigé par le juge conservateur Samuel Alito et est daté du 10 février dernier. L’arrêt Roe c. Wade protège le droit des femmes à avorter aux États-Unis depuis 1973.

Or, pour le juge Samuel Alito, le jugement est « totalement infondé dès le début » et « doit être annulé », selon ce qui est inscrit dans le document. Allant plus loin, il affirme que le droit à l’avortement « n’est protégé par aucune disposition de la Constitution ».

PHOTO ANDREW HARNIK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Samuel Alito, juge conservateur

Or, Roe c. Wade s’appuie sur le 14e amendement, celui qui concerne la liberté, et dans ce cas-ci, la liberté de la femme, explique Valérie Beaudoin, chercheuse associée à la Chaire Raoul-Dandurand.

« Ça pose la question : est-ce qu’il y a d’autres lois comme ça – qui se basent sur le même amendement – et qui peuvent aussi être renversées ? », se demande-t-elle.

Une décision attendue

La nouvelle n’étonne pas les experts qui suivent la question de près. « La majorité des analystes s’attendaient à ce que, d’ici juin, Roe c. Wade soit très affecté ou même invalidé », explique Andréanne Bissonnette, chercheuse en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand.

La décision de la Cour suprême doit d’ailleurs encore faire l’objet de négociations jusqu’à sa publication, avant le 30 juin.

Si cette conclusion est bien retenue par le plus haut tribunal des États-Unis, ceux-ci reviendront à la situation en vigueur avant 1973 quand chaque État était libre d’interdire ou d’autoriser les avortements.

Ce qui m’inquiète, c’est l’effet que ça va avoir sur les femmes défavorisées, ou des minorités, parce qu’elles n’ont pas les moyens de voyager [pour aller se faire avorter]. L’autre point, ça va être le fardeau sur les États qui vont continuer d’offrir l’avortement.

Valérie Beaudoin, chercheuse associée à la Chaire Raoul-Dandurand

Compte tenu des importantes fractures géographiques et politiques sur le sujet, une moitié des États, surtout dans le sud et le centre conservateurs, devraient rapidement bannir la procédure sur leur sol.

« Soyons clairs : c’est un avant-projet. Il est scandaleux, sans précédent, mais pas final : l’avortement reste votre droit et est encore légal », a tweeté l’organisation Planned Parenthood, qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des avortements.

Une Cour suprême conservatrice

La Cour suprême a été profondément remaniée par l’ex-président Donald Trump qui, en cinq ans, y a fait entrer trois magistrats, solidifiant sa majorité conservatrice (six juges sur neuf).

Depuis septembre, cette nouvelle Cour a envoyé plusieurs signaux favorables aux opposants à l’avortement.

Elle a d’abord refusé d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi du Texas qui limite le droit à avorter aux six premières semaines de grossesse, contre deux trimestres dans le cadre légal actuel.

Lors de l’examen en décembre d’une loi du Mississippi, qui remettait aussi en question le délai légal pour avorter, une majorité de ses magistrats ont clairement laissé entendre qu’ils étaient prêts à grignoter, voire à tout bonnement annuler Roe c. Wade.

Le document présenté par Politico porte sur ce dossier. Sa publication constitue une fuite rarissime pour la Cour suprême, où le secret des délibérations n’a quasiment jamais été violé.

Pour Valérie Beaudoin, une telle décision pourrait galvaniser les démocrates lors des élections de mi-mandat à l’automne prochain, où l’électorat est parfois moins au rendez-vous.

Des défenseurs du droit à l’avortement s’étaient réunis spontanément lundi soir devant la Cour suprême à Washington. Dans la foulée, plusieurs élus démocrates ont estimé que la révélation de Politico confirmait l’urgence d’inscrire le droit à l’avortement dans la loi.

Du côté républicain, on a au contraire salué une victoire annoncée. « C’est la meilleure et la plus importante nouvelle de notre vie », a commenté la représentante Marjorie Taylor Green.

Avec l’Agence France-Presse