(Alexandria) Après deux semaines d’un procès éprouvant près de Washington, les jurés se sont retirés mercredi pour décider du sort d’El Shafee el-Sheikh, accusé d’avoir été l’un des cruels « Beatles » de l’État islamique (EI), ce qu’il nie.

Ce djihadiste de 33 ans faisait « sans l’ombre d’un doute » partie de cette cellule de geôliers surnommés ainsi par leurs otages en raison de leur accent britannique, a déclaré le procureur Raj Parekh.  

« Rien ne le prouve », a rétorqué son avocate Nina Ginsburg, tout en admettant le caractère « horrible et insensé » des sévices subis par les quelque 27 otages occidentaux placés sous la coupe des « Beatles » entre 2012 et 2015.

Simulation de noyade, tabassage systématique, tortures psychologiques… Pendant le procès, une dizaine d’entre eux ont livré des témoignages effrayants sur les violences que leur ont infligées ces gardes pendant leur captivité.

Ils ont décrit des hommes « sadiques », toujours « masqués » et « gantés », qui interdisaient de les regarder et distribuaient les coups sans compter.

Grâce à ces témoins, « nous avons construit une mosaïque de preuves », a déclaré Raj Parekh. « Ensemble, elles forment une image claire et complète » de la responsabilité de l’accusé : il faisait partie d’un « complot terrifiant et inhumain », qui a « résulté dans la mort » de captifs américains, britanniques et japonais.

La plupart ont été décapités et leur mort mise en scène dans d’insoutenables vidéos de propagande qui ont choqué le monde.

El Shafee el-Sheikh « vous l’a dit lui-même », a ajouté le procureur en référence aux multiples interviews données par l’accusé à des journalistes après sa capture par les forces kurdes syriennes en 2018 et avant son transfert aux États-Unis en 2020.

« Grand non-dit »

Il était bien djihadiste dans les rangs de l’EI, a reconnu son avocate. Mais l’accusation n’a pas réussi à prouver « au-delà du doute raisonnable » son appartenance aux « Beatles », a-t-elle soutenu.

« M. el-Sheikh n’a jamais été identifié dans ce tribunal par aucun des anciens otages », a rappelé Me Ginsburg. « C’est le grand non-dit » de ce procès.

« Il n’y a pas eu une seule question sur la corpulence des Beatles, leur taille, leur couleur de peau, leur façon de parler… Pourquoi ? », s’est-elle interrogée. « Parce que ça ne correspond pas à M. el-Sheikh. »

De plus, a-t-elle assuré, « aucune preuve matérielle ne le lie » aux otages, aucune « trace d’ADN, aucune empreinte, aucun cheveu » n’a été retrouvé lors des raids américains sur des prisons de l’EI.

Quant à ses confessions télévisées, elles ont été données « par un homme brisé », détenu depuis un an et demi par « des forces paramilitaires », a-t-elle soutenu. Selon Me Ginsburg, « il espérait être transféré aux États-Unis pour avoir un procès équitable » et éviter une condamnation expéditive à la pendaison.

« C’est de la désinformation et de la spéculation », a balayé un autre procureur, Dennis Fitzpatrick, autorisé à conclure les débats.  

Dans ces interviews, El Shafee el-Sheikh livre des détails « que seul un participant pouvait connaître », comme le « jeu d’échecs en carton » qu’avaient fabriqué les otages, a relevé le procureur.

« Ce qui est juste »

Pour l’accusation, l’accusé formait un trio avec Mohammed Emwazi et Alexanda Kotey.

Le premier, dit « Jihadi John », s’était distingué en apparaissant avec un couteau de boucher sur les vidéos de décapitation des otages. Il a été tué dans une attaque de drone en 2015.  

L’autre a été arrêté avec El Shafee el-Sheikh en Syrie et transféré en 2020 aux États-Unis. Il a depuis plaidé coupable et sa peine sera prononcée à la fin du mois.

« Ils ont grandi ensemble » à Londres, a déclaré Raj Parekh. « Ils se sont radicalisés ensemble, ont été des combattants gradés de l’EI ensemble, ont détenu des otages ensemble, les ont torturés et terrorisés ensemble. »

Sans eux, les journalistes américains James Foley et Steven Sotloff « seraient encore en train de couvrir des conflits dans le monde » et les humanitaires Peter Kassig et Kayla Mueller « d’aider ceux dans le besoin ».

Ces quatre victimes « voulaient faire ce qui est juste », a ajouté son collègue Dennis Fitzpatrick. « Maintenant c’est à vous de faire ce qui est juste », a-t-il lancé aux jurés.