Le New York Post croyait tenir la « surprise d’octobre », l’histoire qui devait chambouler la campagne présidentielle de 2020 dans la dernière ligne droite.

« Les courriels secrets de Biden », pouvait-on lire à la une du tabloïd conservateur de Rupert Murdoch, qui lançait ainsi, à trois semaines du scrutin, une série d’articles révélant le contenu présumé d’un ordinateur portable ayant prétendument appartenu à Hunter Biden, fils du candidat présidentiel du Parti démocrate.

Mais les exclusivités du Post sur la corruption alléguée des Biden allaient provoquer une levée de boucliers. Twitter a empêché le partage des articles du quotidien sur son réseau et suspendu le compte du Post pendant 16 jours, prétextant que les courriels avaient peut-être été piratés.

Facebook a restreint la distribution des mêmes reportages sur sa plateforme, disant vouloir s’assurer de ne pas servir à la « désinformation ».

Et les médias les plus réputés, dont le Wall Street Journal, qui appartient au même groupe que le Post, ont traité l’affaire avec circonspection, affirmant ne pas pouvoir authentifier les courriels.

Cette prudence était justifiée, jusqu’à un certain point. WikiLeaks avait notamment réussi à influencer la campagne présidentielle précédente en publiant sur plusieurs jours, à compter du 7 octobre 2016, des courriels volés par des pirates russes dans le compte d’un proche de Hillary Clinton.

Autre facteur expliquant cette prudence : Rudolph Giuliani, qui avait déjà relayé de la désinformation russe dans l’affaire ukrainienne, était mêlé à cette histoire. L’avocat personnel de Donald Trump est en effet celui qui avait remis au Post une copie du disque dur d’un ordinateur portable que Hunter Biden avait prétendument laissé en avril 2019 dans un atelier de réparation du Delaware sans jamais le récupérer.

Qui plus est, dans une lettre diffusée le 19 octobre 2020, pas moins de 51 ex-responsables du renseignement américain estimaient que cette histoire avait « toutes les caractéristiques classiques d’une opération d’information russe ».

« Le Times l’admet enfin »

Or, au cours des 15 derniers jours, deux des grands fleurons de la presse américaine, le New York Times et le Washington Post, ont réussi à authentifier plusieurs courriels se trouvant sur le disque dur remis au New York Post.

Depuis, le tabloïd et la droite américaine exultent, tout en fustigeant ces mêmes médias d’avoir attendu 18 mois – et une élection présidentielle – avant d’écrire la vérité.

« Le Times l’admet enfin : l’ordinateur portable de Hunter est réel », a clamé la page éditoriale du New York Post.

IMAGE TIRÉE DU SITE DU NEW YORK POST

Une du New York Post du 18 mars 2022

En fait, le Times n’a pas reconnu la chose. Le journal s’est contenté d’écrire que certains courriels venant peut-être de l’ordinateur portable de Hunter Biden avaient été authentifiés. Mais le tabloïd pouvait se sentir justifier de plastronner, jusqu’à un certain point.

« L’émerveillement ne cesse jamais », a écrit mercredi la chroniqueuse du Post Miranda Devine, autrice du livre Laptop from Hell, expression empruntée à Donald Trump, qui l’a répétée à de nombreuses reprises au cours des dernières semaines de la campagne présidentielle de 2020 en référence à l’ordinateur portable de Hunter Biden.

« Après que notre histoire a été censurée par Big Tech et rejetée comme de la “désinformation russe” par le prévaricateur démocrate Adam Schiff et 51 anciens barbouzes menés par l’ancien directeur de la CIA John Brennan, il est apparemment sans danger d’admettre que l’ordinateur portable est réel et que les courriels que nous avons publiés peuvent être facilement authentifiés », a-t-elle ajouté.

Pour autant, Miranda Devine reste sur sa faim. Car ni le New York Times, ni le Washington Post, ni CNN n’ont conclu, comme son journal et plusieurs républicains l’ont fait, que Joe Biden était impliqué dans les affaires « corrompues » de son fils en Ukraine, en Chine ou en Russie.

« L’ordinateur de Hunter est une grande pièce d’un puzzle qui mène à une telle conclusion choquante », a-t-elle écrit.

Pour le moment, cette conclusion semble erronée.

L’enquête se poursuit

Dans un long article publié cette semaine, le Washington Post déclare ne pas avoir « trouvé de preuves que Joe Biden ait connu les détails des transactions avec [la société énergétique chinoise] CEFC, qui ont eu lieu après qu’il a quitté la vice-présidence et avant qu’il ait annoncé ses intentions de se présenter à la Maison-Blanche en 2020 ou en ait personnellement profité ».

L’analyste de CNN John Harwood a de son côté résumé le reportage de la chaîne sur les affaires de Hunter Biden en affirmant que ce dernier a exploité « le nom de son père pour faire beaucoup d’argent ». Mais « il n’y a aucune preuve que le vice-président Biden, ou le président Biden, ait fait quoi que ce soit de mal relativement à ce que Hunter Biden a fait », a-t-il ajouté.

Le New York Times n’a pas abordé directement cette question dans son article. Le journal s’est contenté de citer des courriels qui pourraient, en fait, aider le fils à se défendre s’il est inculpé.

Comme d’autres médias, y compris CBS News, le Times a confirmé que Hunter Biden est toujours visé par une enquête du département de la Justice américain. En décembre 2020, le fils du futur président avait lui-même révélé faire l’objet d’une enquête sur ses affaires fiscales.

Depuis, il a remboursé une importante dette au fisc. Mais ses impôts ne représentent qu’un des éléments de l’enquête qui le vise. En 2018, celle-ci s’est élargie, sous le procureur général des États-Unis de l’époque, William Barr, et inclut désormais de possibles violations des règles sur le lobbying étranger et le blanchiment d’argent.

Les républicains du Congrès promettent de leur côté de mener leur propre enquête sur Hunter Biden et son ordinateur portable s’ils deviennent majoritaires à la Chambre des représentants ou au Sénat.

Les disques durs remis au New York Post et au Washington Post contiennent plusieurs photos ou vidéos montrant Hunter Biden en train de fumer du crack ou de participer à des actes sexuels. Le tabloïd new-yorkais a déjà publié plusieurs photos illustrant les problèmes de dépendance du fils de Joe Biden à une certaine époque.