(New York) Bien avant de traiter le président de l’Ukraine de « voyou », de répéter le « grand mensonge » sur l’élection présidentielle de 2020 ou de prôner le recours aux armes à feu à des fins politiques, Madison Cawthorn s’est fait élire à la Chambre des représentants, à 25 ans, en racontant des histoires à attendrir les âmes les plus dures.

Le 3 avril 2014, alors qu’il n’avait que 18 ans, il se trouvait sur le siège passager d’une voiture qui a percuté un mur de béton de plein fouet. Lors d’un discours électoral, il a accusé le conducteur, un ami d’enfance, de l’avoir laissé « mourir » sur place. Il a évidemment survécu, mais l’accident l’a laissé paralysé à partir de la taille.

Avant cet accident qui a changé la trajectoire de sa vie, Madison Cawthorn était le propriétaire d’une société immobilière prospère et avait été accepté à la prestigieuse Académie navale d’Annapolis, selon le récit autobiographique qu’il a servi aux électeurs de la circonscription de Caroline du Nord, où il a brigué les suffrages en 2020.

Mais sa détermination à surmonter les épreuves ne l’a jamais abandonné, à en croire ses publicités télévisées. Certaines d’entre elles le montraient en train de soulever des haltères ou de participer à des courses en fauteuil roulant. En 2019, il avait annoncé sur les réseaux sociaux qu’il se préparait pour les Jeux paralympiques de Tokyo.

La vérité ? Son ami et ses propres parents ont nié qu’il a été abandonné dans la voiture accidentée. Sa société immobilière, fondée en 2019, n’a déclaré aucun revenu au fisc. Sa candidature à l’Académie navale a été rejetée avant même son accident. Et sa participation aux Jeux paralympiques était d’autant plus douteuse qu’il n’a jamais été proche de se qualifier.

La vérité ? Madison Cawthorn a fréquenté un collège évangélique pendant un an avant d’abandonner ses études. Pendant sa campagne électorale, plusieurs anciennes étudiantes l’ont accusé de harcèlement sexuel. Il a tout nié.

« Valdimir Poutine, blabla »

« Continuez de pleurer, libéraux », a tweeté le nouveau benjamin du Congrès, le soir de son élection, le 3 novembre 2020.

Madison Cawthorn n’est pas le seul élu du Congrès américain à carburer à la provocation. Au sein de son parti, les représentantes Marjorie Taylor Greene et Lauren Boebert, entre autres, rivalisent d’outrance avec lui. Chez les démocrates, les représentantes Cori Bush et Alexandria Ocasio-Cortez, entre autres, tiennent également des propos qui ont le don de scandaliser leurs adversaires politiques.

Mais il y a peut-être des limites à ce qu’un représentant républicain peut dire sans en subir les conséquences électorales. Chose certaine, Madison Cawthorn mettra ces limites à l’épreuve au cours de sa campagne de réélection.

Avant de devenir le candidat républicain dans sa circonscription en vue des élections de mi-mandat, il devra d’abord remporter une primaire. Et ses adversaires ne manqueront pas d’exploiter ses déclarations sur l’Ukraine.

En décembre dernier, Madison Cawthorn a d’abord exprimé une indifférence répandue au sein de la droite nationaliste américaine envers la situation de l’Ukraine, dont les frontières étaient alors menacées par l’armée russe.

« Je m’en fiche. Je m’en fiche vraiment », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement de jeunes conservateurs en se moquant de ceux qui s’inquiétaient de « cette terrible crise frontalière en Ukraine et en Russie, Vladimir Poutine, blabla ».

Il y a deux semaines, il est allé beaucoup plus loin devant un groupe d’électeurs de Caroline du Nord. « Rappelez-vous que [le président ukrainien Volodymyr] Zelensky est un voyou, a-t-il dit. Rappelez-vous que le gouvernement ukrainien est incroyablement corrompu, qu’il est incroyablement mauvais et qu’il a prôné des idéologies wokes. »

La vidéo de la déclaration de Madison Cawthorn s’est vite mise à jouer en boucle à la télévision d’État russe. Le représentant a expliqué sa sortie en faisant valoir que la « propagande » pro-Ukraine pouvait entraîner les États-Unis « dans une autre guerre ».

Un mariage bref

« Soyons clairs : Vladimir Poutine est le voyou », a tweeté le sénateur d’État de Caroline Nord Chuck Edwards, l’un des adversaires républicains de Madison Cawthorn. « Nous devons nous unir en tant que nation pour prier pour le président Zelensky et le peuple courageux d’Ukraine qui se bat pour sa vie et sa liberté. »

Dans la circonscription conservatrice où se déroule cette bataille électorale, la position de Madison Cawthorn sur l’Ukraine représente sans doute pour lui un plus grand danger que ses déclarations controversées sur l’élection présidentielle de 2020 ou le deuxième amendement.

PHOTO J. SCOTT APPLEWHITE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Madison Cawthorn au Capitole de Washington, en avril 2021

Mais les adversaires du jeune représentant pourront également l’attaquer sur son assiduité au travail. Sur les 435 élus de la Chambre des représentants, « 416 ont fait mieux que lui en matière de présences et de votes au cours de la session actuelle », a tweeté l’une de ses rivales.

En mai 2021, le site Axios a révélé que Madison Cawthorn avait raté 16,2 % des votes à la Chambre. Seuls cinq autres élus de la Chambre ou du Sénat avaient un pire bilan que lui à cet égard. À l’époque, l’intéressé avait mis ses absences sur le compte de son mariage et de sa lune de miel.

Madison Cawthorn s’est marié le 3 avril 2021 avec Cristina Bayardelle, une adepte du CrossFit. Le 23 décembre 2021, il a annoncé que sa femme et lui avaient entamé une procédure de divorce. Quelques mois auparavant, il avait raconté avoir rencontré Mme Bayardelle à Miami par l’entremise de « Todd », un capitaine de l’armée américaine dont il avait fait la connaissance dans un casino de Saint-Pétersbourg, en Russie.

Il n’en fallait pas plus pour que les théoriciens du complot de la gauche voient en Bayardelle une femme fatale au service du renseignement russe.

Madison Cawthorn s’est moqué de ces complotistes. Mais son destin demeure étrange.