(New York) Le projet de loi s’inspire de la loi controversée du Texas, qui interdit la plupart des avortements après environ six semaines de grossesse et délègue aux citoyens de cet État ou d’ailleurs aux États-Unis le pouvoir de la faire respecter.

Mais il y a des différences importantes entre la législation texane et le texte adopté lundi par une forte majorité de la Chambre de l’Idaho, dans la foulée du Sénat de cet État conservateur du Nord-Ouest américain.

D’abord, le projet de loi de l’Idaho circonscrit les personnes aptes à intenter des poursuites aux membres de la famille de « l’enfant à naître », y compris son père, ses frères ou sœurs, ses grands-parents et ses oncles ou tantes, et ce, jusqu’à quatre ans après l’avortement.

Ensuite, le texte limite aux prestataires d’avortement les personnes susceptibles d’être poursuivies. Donc pas question, comme au Texas, de cibler également le chauffeur Uber qui a conduit la femme enceinte à la clinique d’avortement ou la préposée qui a fixé le rendez-vous.

Le texte promet en outre une prime d’au moins 20 000 $ aux dénonciateurs qui auront gagné leur action en justice, plutôt que la somme minimale de 10 000 $ offerte au Texas.

Il prévoit enfin des exceptions pour le viol et l’inceste, contrairement à la loi du Lone Star State. Mais il y a un hic : dans de telles circonstances, les femmes enceintes d’Idaho doivent arriver à la clinique avec un rapport de police sur le crime dont elles disent avoir été victimes.

Mais au-delà des différences, le projet de loi de l’Idaho vise le même but que la loi texane, selon ses critiques.

La décision du gouverneur

« En fin de compte, le projet de loi mettrait fin à la plupart des soins liés à l’avortement dans l’État de l’Idaho, ce qui, soit dit en passant, est l’objectif des promoteurs de cette mesure », a déclaré à La Presse Mistie DelliCarpini-Tolman, directrice de Planned Parenthood en Idaho, où l’organisation gère trois cliniques.

À six semaines, la plupart des femmes ne savent pas encore qu’elles sont enceintes.

Mistie DelliCarpini-Tolman, directrice de Planned Parenthood en Idaho

Le gouverneur républicain de l’Idaho, Brad Little, a cinq jours suivant la réception du projet de loi (sans compter les dimanches) pour le signer, y mettre son veto ou permettre qu’il devienne loi sans sa signature.

La mesure de l’Idaho pourrait donc entrer en vigueur en avril, soit plusieurs mois avant la décision attendue de la Cour suprême sur la loi du Mississippi interdisant l’avortement après 15 semaines de grossesse. Cette décision pourrait mener à l’affaiblissement ou au renversement de l’arrêt historique de 1973 Roe v. Wade qui a légalisé l’interruption des grossesses jusqu’à la viabilité du fœtus, soit entre les 22e et 24e semaines.

PHOTO DARIN OSWALD, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Brad Little, gouverneur républicain de l’Idaho

Mais Planned Parenthood n’a pas encore abandonné l’espoir de convaincre le gouverneur d’opposer son veto au projet de loi. Bien que ce dernier soit un farouche adversaire de l’avortement, il pourrait conclure que les parlementaires de son parti sont allés trop loin en permettant aux membres de la famille d’un violeur ou d’un père incestueux de poursuivre un médecin ayant pratiqué un avortement « illégal ».

« Certaines des parties les plus haineuses de ce projet de loi sont ce qui nous donne un léger espoir que le gouverneur Little pourrait trouver dans son cœur la force de dire : “Non, cette loi est trop extrême” », a déclaré Mistie DelliCarpini-Tolman.

Une « approche astucieuse »

En attendant, les parlementaires républicains de l’Idaho se félicitent d’avoir suivi l’exemple du Texas en rédigeant une mesure qui rend sa contestation judiciaire difficile, voire impossible.

« L’approche astucieuse et privée du Texas a atteint la cible », a déclaré lundi le représentant républicain Steven Harris, l’un des auteurs du projet de loi d’Idaho. « Elle a arrêté net les avortements physiques et chimiques. »

En fait, le nombre d’avortements au Texas a chuté de 60 % depuis l’entrée en vigueur de la loi controversée, le 1er septembre dernier.

Le représentant Harris a réfuté par ailleurs l’argument selon lequel le projet de loi d’Idaho, comme la loi texane, prive les femmes d’un droit constitutionnel qui leur a été conféré par la décision Roe v. Wade.

« Le Texas s’est déjà présenté devant la Cour suprême à deux reprises, et les avortements continuent à être interdits dans cet État », a-t-il dit.

L’élu républicain faisait allusion aux refus de la majorité conservatrice de la Cour suprême de suspendre l’application de la loi texane. Celle-ci demeure donc en vigueur pendant que la cause est toujours embourbée devant la très conservatrice cour fédérale d’appel de La Nouvelle-Orléans.

Les défenseurs du droit à l’avortement pourraient avoir plus de succès dans leur contestation d’une éventuelle loi anti-avortement en Idaho. Leur cause pourrait aboutir devant la cour fédérale d’appel de San Francisco, réputée pour son progressisme.

« Nous explorons toutes nos options devant toutes les instances judiciaires », a commenté Mistie DelliCarpini-Tolman.

Au moins 12 États américains ont examiné des projets de loi calqués sur la loi anti-avortement du Texas. Au total, au moins 531 mesures ont été présentées dans 40 États américains cette année pour restreindre l’accès à l’avortement, selon l’Institut Guttmacher. L’an dernier, les États ont adopté plus de 100 lois restreignant l’accès à l’avortement, un sommet depuis la décision Roe v. Wade.