Six jours sur sept, l’animateur de la populaire émission balado War Room, Steve Bannon, injecte dans le débat politique américain une solide dose de désinformation, de populisme et de sarcasme.

Mercredi, quelques heures avant le début de l’attaque russe en Ukraine, l’ancien stratège de Donald Trump n’a pas cherché à cacher son admiration pour Vladimir Poutine.

« Poutine n’est pas woke. Il est anti-woke, a-t-il déclaré en entamant un dialogue ubuesque avec son invité du jour, Erik Prince, fondateur de la défunte société de sécurité privée Blackwater.

— Le peuple russe sait encore quelles toilettes utiliser, a renchéri Prince.

— Combien y a-t-il de genres en Russie ?

— Deux.

— Ils n’ont pas de drapeau de la fierté gaie à l’extérieur.

— Ils n’ont pas de gars qui participent à des compétitions féminines de natation.

— Comme c’est arriéré ! Comme c’est sauvage ! Comme c’est médiéval ! », a enchaîné Bannon.

Après l’invasion russe de l’Ukraine, l’animateur de radio conservateur Clay Travis, à qui Donald Trump avait confié son admiration pour le « génie » de Vladimir Poutine, a confessé sa nostalgie à l’égard de l’ancien président.

« Les leaders autocratiques croient à l’hypermasculinité, au pouvoir physique brut, a-t-il dit. Ils croient que la force fait le droit. Les États-Unis ont passé des décennies à fétichiser le pouvoir émotionnel, doux et gentil. Poutine et Xi ne respectent pas ça. Pas du tout. Voilà le résultat. »

Trump était unique parce que Poutine et Xi craignaient ce qu’il pourrait faire s’ils sortaient du rang. Biden est un pantin.

Clay Travis, animateur de radio conservateur

Retour aux années 1930

Le phénomène ne se limite pas à Fox News. Depuis le début de la crise ukrainienne, plusieurs médias conservateurs américains préfèrent critiquer Joe Biden plutôt que Vladimir Poutine, et défendre l’autocrate plutôt que le démocrate.

Selon Philip Seib, professeur émérite de journalisme et de diplomatie publique à l’Université de Californie du Sud, il faut reculer loin dans le temps pour observer une situation le moindrement comparable aux États-Unis.

« Je suppose que vous pouvez remonter à la fin des années 1930 et trouver quelques petites organisations médiatiques qui étaient favorables à l’Allemagne », a confié l’auteur de plusieurs livres sur le journalisme et la guerre, dont le plus récent s’intitule Information at War : Journalism, Disinformation and Modern Warfare.

« Mais pour la plupart, lorsque vous aviez des présidents comme Dwight Eisenhower ou Ronald Reagan, les médias conservateurs se rangeaient derrière eux et soutenaient leur politique, tout comme les médias progressistes, d’ailleurs. » Fox News n’est évidemment pas une petite organisation médiatique. La chaîne d’information câblée la plus regardée aux États-Unis n’a peut-être pas l’influence que certains lui prêtent, mais elle n’est pas négligeable.

PHOTO RICHARD DREW, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Tucker Carlson, animateur vedette de la chaîne Fox News

Et peu d’organisations médiatiques ont fait plus qu’elle pour légitimer Vladimir Poutine et dénigrer Joe Biden depuis le début de la crise ukrainienne. Les topos de l’animateur vedette de la chaîne, Tucker Carlson, sont si favorables au Kremlin que certains d’entre eux ont été traduits et diffusés en partie à la télévision russe.

Récemment, Carlson a déclaré que l’Ukraine n’était pas une démocratie, mais une « tyrannie » ou un « État client » des États-Unis avec lequel la Russie avait un « conflit frontalier ».

« Satisfaire Donald Trump »

L’animateur s’est également demandé tout haut pourquoi les Américains devraient haïr Vladimir Poutine.

« Cela vaut peut-être la peine de se demander, puisque cela devient assez sérieux, de quoi il s’agit vraiment », a-t-il dit. Puis, en se glissant dans la peau du téléspectateur moyen, il a ajouté : « Pourquoi est-ce que je déteste autant Poutine ? Poutine m’a-t-il déjà traité de raciste ? A-t-il menacé de me faire virer parce que je n’étais pas d’accord avec lui ? A-t-il délocalisé tous les emplois de la classe moyenne de ma ville en Russie ? »

D’autres animateurs et commentateurs de Fox News ont repris un thème populaire dans les médias conservateurs ces jours-ci, thème qui se résume ainsi : l’invasion de l’Ukraine n’aurait pas eu lieu si Donald Trump n’avait pas été évincé de la Maison-Blanche.

« Le monde en paie le prix en ce moment même », a déploré jeudi Laura Ingraham.

C’est un environnement étrange pour les organismes de presse qui essaient de satisfaire Donald Trump tout en continuant à faire des reportages honnêtes.

Philip Seib, professeur émérite de journalisme et de diplomatie publique à l’Université de Californie du Sud

Car il faut reconnaître que Fox News compte des journalistes dont le travail n’a rien à envier à la concurrence. Cela dit, ils se retrouvent parfois dans des situations délicates.

Ainsi, Jennifer Griffin, spécialiste de la chaîne en matière de sécurité nationale, a dû ramener l’animateur Sean Hannity à l’ordre lorsque ce dernier a imputé à Joe Biden la responsabilité de la crise ukrainienne.

« Sean, la manière dont nous en sommes arrivés là est une longue histoire, et celle-ci précède l’administration Biden », a-t-elle déclaré le 21 février dernier. « Elle inclut les erreurs commises par chaque président américain depuis l’effondrement de l’Union soviétique. »