(New York) Pour une rare fois dans l’histoire des États-Unis, sinon la première, le fameux réflexe de ralliement autour du drapeau se déploie ces jours-ci en partie au profit du dirigeant ennemi, en l’occurrence Vladimir Poutine.

Défini en 1970 par le politologue John Mueller, ce réflexe fait référence à la tendance des Américains à soutenir spontanément leur président lorsque celui-ci affronte une crise internationale, au moins de façon passagère.

Or, depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, bon nombre de politiciens républicains et de commentateurs conservateurs ont vanté le président russe ou relayé sa propagande.

Le phénomène place Joe Biden dans une situation paradoxale. Depuis le début de la crise ukrainienne, le président américain a réussi à forger une cohésion inattendue parmi les alliés occidentaux des États-Unis, dont beaucoup lui avaient reproché la façon unilatérale dont il avait géré le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, l’été dernier.

Il a dénoncé mercredi soir « l’attaque injustifiée » de la Russie contre l’Ukraine, après que son homologue russe Vladimir Poutine a annoncé une « opération militaire ». Il s’exprimera jeudi sur les « conséquences » pour la Russie.

Mais son combat contre Vladimir Poutine semble diviser son propre pays autant, sinon plus, que sa lutte contre la COVID-19.

« C’est le tribalisme qui suscite ce genre de réaction, même lorsqu’il s’agit des questions de sécurité nationale et d’intérêt national qui nous unissaient dans le passé », a déclaré le politologue américain Norman Ornstein.

L’autre aspect de la question est qu’il y a maintenant une admiration pour l’autoritarisme qui, j’en suis sûr, existait dans le passé de manière sous-jacente pour beaucoup de gens, mais qui est devenue aujourd’hui un élément manifeste de la théologie du culte du Parti républicain.

Norman Ornstein, politologue américain

« C’est du génie »

Les déclarations de Donald Trump ont évidemment retenu l’attention mardi. Lors d’une entrevue accordée à une émission balado conservatrice, l’ancien président a salué la stratégie de Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance des séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine.

« C’est du génie », a-t-il rappelé s’être dit en voyant à la télévision un reportage sur le sujet.

De nombreux républicains ont aussi exprimé la même admiration pour le président russe, avant ou après sa décision de déployer des troupes dans l’est de l’Ukraine. L’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo a qualifié l’homme fort du Kremlin de « très astucieux, très compétent », avouant son « énorme respect pour lui ».

L’animateur vedette de Fox News Tucker Carlson a même pris le parti de Vladimir Poutine en accusant Joe Biden d’avoir « provoqué un conflit » contre un pays producteur d’énergies fossiles pour favoriser les énergies renouvelables.

Certes, des parlementaires républicains ont défendu la position traditionnelle de leur parti vis-à-vis de la Russie. Mais, dans la foulée, ils ont reproché au président démocrate sa faiblesse face à son homologue russe.

PHOTO J. SCOTT APPLEWHITE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du Sud

« Vous avez dit il y a quelques années que Poutine ne voulait pas que vous gagniez parce que vous êtes la seule personne capable de lui faire face », a déclaré le sénateur républicain de Caroline du Sud Lindsey Graham devant des journalistes. « Eh bien, maintenant, monsieur le président, vous faites du pied à Poutine. Et il vous marche dessus. »

Pour autant, la plupart des analystes continuent à donner de bonnes notes à Joe Biden dans le dossier ukrainien.

Le « retour » des États-Unis

« Je pense que les États-Unis sont enfin de retour, de même que l’OTAN », a déclaré Ivana Stradner, spécialiste de l’Europe de l’Est au sein du groupe de réflexion conservateur American Enterprise Institute.

Les États-Unis traitent avec succès avec nos alliés en Europe, mais aussi ailleurs, y compris au Japon, qui a annoncé des sanctions contre la Russie.

Ivana Stradner, spécialiste de l’Europe de l’Est

« Je pense que c’est quelque chose que Poutine n’aime pas. Ce qu’il voulait, c’était voir une grande divergence entre les États-Unis et l’Europe. Je suis convaincue que Poutine ne s’attendait pas à quelque chose comme ça », a-t-elle ajouté.

Garret Martin, expert des relations transatlantiques et de l’OTAN à l’American University, dresse un bilan similaire de l’action du président américain depuis le début de la crise ukrainienne.

« Le président Biden et son administration ont fait un bon travail en matière de consultation, en matière d’élaboration d’une réponse commune », a déclaré le professeur d’origine irlandaise. « Je pense qu’à un stade antérieur, il y avait quelques inquiétudes quant au fait qu’il s’agirait d’une affaire bilatérale entre les États-Unis et la Russie. En ce sens, je pense qu’ils ont tiré les leçons de l’Afghanistan et de la crise des sous-marins australiens. »

Mercredi, Joe Biden a greffé à la première tranche de sanctions annoncées la veille des sanctions contre le gazoduc Nord Stream 2 et ses dirigeants.

Pas « un effet important »

Michael Kimmage, historien spécialiste des relations russo-américaines et professeur à l’Université catholique d’Amérique, ne croit pas que les commentaires des républicains nuiront à Joe Biden dans son affrontement contre Vladimir Poutine.

« Je ne pense pas que les déclarations pro-Poutine de Trump, de Pompeo et des médias de droite aux États-Unis auront un effet important pour l’administration Biden », a-t-il dit.

Mais ces déclarations représentent un nouveau creux dans l’histoire des États-Unis.