(New York) Si elle veut conserver son influence politique, Liz Cheney doit renoncer en 2022 à défendre son siège à la Chambre des représentants et songer à briguer la présidence en 2024 sous la bannière d’un tiers parti ou à titre d’indépendante.

Au cours des deux dernières semaines, les auteurs d’au moins deux articles publiés dans le Star Tribune de Casper, au Wyoming, ont prodigué ce conseil à la représentante républicaine de cet État de l’Ouest. Détail important : la plupart des lecteurs de ce quotidien se trouvent dans un comté longtemps considéré comme un bastion électoral de la politicienne âgée de 55 ans.

Le conseil repose sur cette hypothèse : en partant en guerre contre Donald Trump, Liz Cheney a gâché toutes ses chances d’être réélue à la Chambre en novembre prochain. Après tout, 70 % des électeurs de l’État qu’elle représente ont voté pour l’ancien président en 2020, un sommet aux États-Unis (peu peuplé, le Wyoming n’a qu’un siège à la Chambre des représentants).

« Pour avoir une voie crédible vers la Maison-Blanche, Cheney […] doit se retirer de la primaire républicaine pour l’élection à la Chambre », a écrit Sven Larson, économiste conservateur de Cheyenne, capitale du Wyoming, dans une tribune publiée dimanche par le Star Tribune. Comme d’autres, il tient quasiment pour acquise la défaite de la représentante sortante face à la candidate appuyée par Donald Trump, Harriet Hageman, avocate de Cheyenne.

Or, Liz Cheney nie avoir l’intention de se présenter à la présidence ou de renoncer à défendre son siège à la Chambre. Et ce, malgré son expulsion du Parti républicain du Wyoming le 16 octobre dernier et sa condamnation par le Comité national du Parti républicain (RNC) le 4 février dernier.

« Je ne convaincrai pas les cinglés et je rejette les cinglés », a déclaré Liz Cheney au New York Times en parlant des dirigeants républicains du Wyoming.

Le courage de ses opinions

Chose certaine, personne ne peut lui reprocher de manquer de courage. Depuis son vote à la Chambre en faveur de la mise en accusation de Donald Trump pour avoir promu l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole, Liz Cheney ne se déplace plus sans un service de sécurité spécial.

Mais les menaces de mort dont elle fait l’objet ne l’ont pas intimidée. En juillet dernier, elle a accepté la vice-présidence de la commission du Congrès chargée d’enquêter sur le 6-Janvier. Et elle semble prête à jouer un rôle de premier plan à l’occasion des auditions publiques de cette commission, prévues au printemps.

L’enquête du 6 janvier ne concerne pas seulement la violence inexcusable de ce jour-là : elle porte également sur la fidélité à la Constitution et à l’État de droit, et sur la question de savoir si les représentants élus croient en ces choses ou non.

Liz Cheney, dans une tribune publiée par le Wall Street Journal jeudi dernier

Quelques jours plus tôt, le RNC avait assimilé l’attaque contre le Capitole à une « expression politique légitime ».

Cette volonté d’aller à contre-courant du Parti républicain vaut bien sûr à Liz Cheney d’être admirée par des démocrates. Mais certains progressistes demeurent sceptiques, voire hostiles, à son endroit. Ils se demandent où était la fille de Dick Cheney pendant que ce dernier semblait bafouer la Constitution et l’État de droit en tant que vice-président.

Jim King, politologue à l’Université du Wyoming, rappelle que Liz Cheney était elle-même membre de l’administration de George W. Bush, ayant occupé divers postes au sein du département d’État entre 2002 et 2007.

« Elle n’allait certainement pas rompre publiquement avec le président qu’elle et son père ont servi, a confié M. King à La Presse. Il n’y a pas de telles contraintes maintenant. Une distinction fine, peut-être, mais qui semble correspondre aux circonstances. »

Le professeur King n’est pas de ceux qui croient en la possibilité d’une candidature présidentielle de Liz Cheney à titre d’indépendante ou sous la bannière d’un tiers parti.

Des racines profondes

« Je n’ai aucune idée des projets de Cheney pour 2024, mais je ne la vois pas abandonner le Parti républicain. Ses racines sont très profondes et sa rhétorique de la dernière année vise à faire évoluer le parti dans une direction différente, pas à l’abandonner », soutient-il.

Il ne croit pas non plus que l’ostracisme dont fait l’objet Liz Cheney au sein du Parti républicain du Wyoming signifie qu’elle ne peut être réélue en novembre prochain à la Chambre.

Les militants du parti qui ont répudié Cheney ne représentent qu’une très, très petite partie de l’électorat républicain.

Jim King, politologue à l’Université du Wyoming

« La nature “ouverte” de la primaire du Wyoming signifie en outre que les indépendants y participeront également, indique-t-il. Il s’agit d’électeurs qui pourraient avoir voté pour Trump plutôt que pour Biden pour des raisons politiques, mais qui ne sont pas de fidèles trumpistes. Ils sont susceptibles de soutenir Cheney. »

Quant à Harriet Hageman, la candidate soutenue par Donald Trump, elle a également effectué un virage politique spectaculaire au cours des dernières années. En 2016, l’avocate bien connue au Wyoming a lutté jusqu’à la fin pour empêcher le promoteur immobilier de New York de remporter l’investiture républicaine, voyant en lui un « raciste » et un « xénophobe ».

Aujourd’hui, elle estime que Donald Trump a été « le meilleur président de toute [sa] vie ». Et elle se dit incapable de dire si Joe Biden a été élu de façon légitime.

Ce dont elle est certaine, cependant, c’est que la plupart des Américains ordinaires ne se soucient pas vraiment de ce qui s’est passé le 6 janvier 2021 à Washington.

Si c’est vrai, Liz Cheney est probablement cuite. Mais les auditions publiques de la commission sur le 6-Janvier pourraient faire mentir sa rivale.