(New York) Cette fois-ci, Joe Biden a dit oui.

En 2011, alors que Barack Obama était président, Biden s’était opposé à l’opération commando qui devait conduire à l’élimination d’Oussama ben Laden, chef d’Al-Qaïda, la trouvant trop risquée.

Or, mardi matin, il a donné le feu vert au raid qui a mené à la mort d’Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi, chef du groupe djihadiste État islamique (EI), après avoir rejeté l’option moins risquée d’une frappe aérienne, par égard pour les civils.

Et il a pu à son tour se féliciter de l’élimination d’une « menace terroriste majeure dans le monde ».

« Grâce à la bravoure de nos troupes, cet horrible chef terroriste n’est plus », a déclaré Joe Biden lors d’une brève allocution à la Maison-Blanche, revenant sur l’opération d’environ deux heures qui s’est déroulée dans la nuit de mercredi à jeudi dans le nord-ouest de la Syrie.

Selon le président des États-Unis, Qourachi est mort en se faisant exploser « dans un ultime geste désespéré de lâcheté, et sans égard pour la vie de sa propre famille ou d’autres personnes dans le bâtiment ».

Au moins 13 personnes, dont quatre femmes et six enfants, ont perdu la vie dans l’opération. Tous les soldats américains y ayant pris part en sont sortis indemnes.

Selon le Pentagone, un nombre indéterminé de personnes ont péri dans l’explosion causée par Qourachi. Il n’est pas rare que la première version des responsables militaires américains soit révisée ou contredite à la suite d’une opération.

« Une grosse affaire »

Né il y a 45 ans à Mossoul, en Irak, Qourachi aura connu une fin semblable à celle de son prédécesseur à la tête de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, qui s’était fait exploser lors d’une opération commando dans la région d’Idlib, en Syrie, en octobre 2019.

Cette opération témoigne de la portée et de la capacité [des États-Unis] à éliminer les menaces terroristes, où qu’elles se cachent dans le monde. Nous sommes à vos trousses et nous vous trouverons.

Joe Biden, président des États-Unis

Selon Daniel Byman, spécialiste du terrorisme et du Proche-Orient à la Brookings Institution, le président américain a raison de se réjouir du succès de l’opération contre le chef de l’EI, décrit comme le « responsable » d’une offensive récente contre une prison en Syrie et le « pilote du génocide » contre les yézidis.

« C’est une grosse affaire », a dit à La Presse celui qui est aussi professeur à l’Université de Georgetown, à Washington. « Il s’agit bien sûr du chef d’un groupe terroriste actif dans le monde entier. Et ce chef particulier a joué un rôle clé dans les activités de génocide contre les yézidis. Cela montre aussi que les États-Unis peuvent agir dans une zone très dangereuse et qu’ils disposent d’informateurs sur le terrain. »

Les républicains, eux, ont pris soin de ne pas vanter Joe Biden, profitant plutôt de l’occasion pour remettre à jour leurs critiques concernant la façon dont le président a géré le dossier afghan. « C’est bien de voir des raids comme celui-ci », a déclaré le sénateur de Floride Marco Rubio. « Il est inquiétant que nous n’ayons pas la capacité de faire la même chose dans d’autres parties du monde où l’EI se trouve maintenant et s’organise, comme l’Afghanistan. »

De la « Situation Room »

Joe Biden a suivi l’opération commando de la « Situation Room », salle de crise aménagée dans la Maison-Blanche. Il était accompagné de la vice-présidente Kamala Harris, du secrétaire à la Défense Lloyd Austin et du chef d’état-major des armées, le général Mark Milley.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON-BLANCHE, VIA REUTERS

Le président Joe Biden assistant, au côté de la vice-présidente Kamala Harris, à l’opération militaire contre le chef du groupe armé État islamique en Syrie, depuis la « Situation Room » de la Maison-Blanche, jeudi

Une vingtaine de soldats ont mené l’assaut héliporté, appuyés par des hélicoptères de combat, des drones armés et des avions d’attaque. Selon le Pentagone, l’opération visait un bâtiment de trois étages entouré d’oliviers.

Les forces américaines ont d’abord fait entendre un enregistrement audio en arabe appelant les habitants à quitter le bâtiment. Un homme, une femme et un nombre indéterminé d’enfants ont répondu à cet appel.

Qourachi et les membres de sa famille, qui occupaient le troisième étage, sont restés dans leur appartement, de même que son principal lieutenant et les membres de sa famille, qui vivaient au deuxième étage.

Selon le Pentagone, les dégâts subis par le bâtiment ont été causés par l’explosion de la bombe de Qourachi, survenue au début de l’opération.

Les forces américaines ont ensuite pris d’assaut le bâtiment et échangé des coups de feu avec le lieutenant de l’EI et sa femme, qui ont été abattus. Quatre enfants ont été évacués après leur mort, selon le Pentagone.

Les forces américaines ont détruit un hélicoptère défectueux avant de quitter la région.

En attendant un successeur

Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi était l’un des alias d’Amir Mohammed Saïd Abdel Rahman al-Mawla. Moins connu que son prédécesseur à la tête de l’EI, il avait servi dans l’armée irakienne sous Saddam Hussein avant d’obtenir une maîtrise en études islamiques à l’Université de Mossoul en janvier 2007.

PHOTO FOURNIE PAR LE DÉPARTEMENT D'ÉTAT DES ÉTATS-UNIS, VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi

Capturé et détenu par les forces américaines en Irak en 2008, il avait coopéré avec ces dernières et fourni des informations sur des opérations de l’EI, auquel il s’était joint après ses études. La date de sa libération n’est pas connue. Ses surnoms – le « professeur » et le « destructeur » – témoignent de l’intelligence et de la férocité que ses connaissances lui prêtaient.

« Maintenant, beaucoup de choses dépendront de la question évidente de savoir qui prendra sa place et à quel point cette personne sera compétente », a déclaré Daniel Byman, de la Brookings Institution.

En attendant, le califat dont s’enorgueillissait l’EI il y a trois ans n’est plus. Mais les récentes actions du groupe djihadiste en Syrie et en Irak montrent qu’il peut « encore orchestrer des opérations importantes et complexes », selon le professeur Byman.

« Et cela montre la nécessité de continuer à se concentrer sur cette organisation et sur le danger qu’elle représente », a-t-il ajouté.