Une organisation veut contester la discrimination positive dans le processus d’admission devant la Cour suprême

Harvard peut-elle tenir compte de l’origine raciale ou ethnique en sélectionnant ses étudiants ?

Autre façon de résumer ce nouveau débat devant la Cour suprême américaine : est-ce que ce sera (encore) plus difficile pour les Afro-Américains et les membres d’autres groupes minoritaires d’accéder à certaines des meilleures universités aux États-Unis ?

Depuis des décennies, plusieurs universités ont des programmes d’accès à l’égalité (affirmative action) – aussi connus comme des programmes de « discrimination positive » – visant à diversifier leur bassin d’étudiants. Ces programmes visent à améliorer la situation de groupes traditionnellement défavorisés. En pratique, ils permettent aux universités d’admettre davantage d’étudiants noirs ou issus des minorités.

Mais la Cour suprême des États-Unis a décidé la semaine dernière de rouvrir ce débat qu’on croyait clos depuis 2016. Elle a accepté d’entendre deux dossiers où l’on conteste de tels programmes à l’Université Harvard et à l’Université de Caroline du Nord. Les deux universités avaient gagné en première instance.

Avec sa majorité conservatrice, la Cour suprême pourrait être tentée d’interdire les programmes d’accès à l’égalité en éducation. Avec pour résultat qu’il y aurait en pratique moins d’étudiants noirs et hispaniques dans des universités comme Harvard, et davantage d’étudiants blancs ou d’origine asiatique.

« Ce litige pourrait mettre en péril les actions des universités pour accueillir davantage d’Afro-Américains et de gens issus des minorités », estime Olatunde Johnson, professeure en droits de la personne et en droit constitutionnel à l’Université Columbia.

À long terme, la professeure craint aussi que ce débat ne s’élargisse aux programmes d’accès à l’égalité en emploi et en logement. « Ces programmes permettent de remédier en partie aux conséquences d’un système d’injustice raciale, de ségrégation et des conséquences de l’esclavage », explique-t-elle.

Qui poursuit ?

Dans le dossier de Harvard, le plaignant, Students for Fair Admissions, est un organisme dirigé par le militant conservateur Edward Blum, qui conteste des politiques d’accès à l’égalité (particulièrement en éducation) depuis les années 1990. M. Blum a aussi contesté (avec succès) les lois sur le droit de vote.

PHOTO BRIAN SNYDER, REUTERS

Edward Blum, militant conservateur, en 2018

Cet organisme représente des étudiants et des parents d’origine asiatique. Ceux-ci estiment que les critères d’admission de Harvard discriminent les étudiants d’origine asiatique en considérant l’origine raciale de tous les candidats comme l’un des critères évalués. Ils soutiennent que les candidats d’origine asiatique sont pénalisés parce qu’on ne donne pas assez d’importance en général à leurs notes et qu’ils sont victimes eux aussi de stéréotypes. « Leur visée n’est pas une meilleure équité en éducation. Leur raisonnement est vicié et malhonnête », déplore la professeure Olatunde Johnson.

Dans le dossier de Harvard, le tribunal d’appel a rejeté les prétentions des plaignants, concluant que la différence entre les chances d’admission des candidats asiatiques et des candidats de race blanche était « négligeable ».

Les Américains d’origine asiatique représentent environ 26 % de la promotion 2025 de Harvard. Les personnes d’origine asiatique représentent 6 % de la population américaine.

Pourquoi maintenant ?

En 2016, la Cour suprême a tranché, à quatre juges contre trois, que les universités pouvaient tenir compte de l’origine raciale ou ethnique dans le processus d’admission. Elles ne sont toutefois pas obligées de le faire.

Pourquoi refaire le débat seulement six ans plus tard ? Parce que la Cour suprême a changé. En 2016, il y avait quatre juges conservateurs, quatre juges progressistes et un juge centriste (le juge Kennedy), qui tranchait souvent les litiges. En 2022, la Cour compte six juges conservateurs et trois juges progressistes.

Comment Harvard choisit ses étudiants

L’université la plus prestigieuse aux États-Unis réserve-t-elle un certain nombre de places (un quota) pour les étudiants noirs ou issus de minorités ? Non. C’est illégal depuis une décision de la Cour suprême en 1978.

Harvard donne-t-elle des points supplémentaires dans l’évaluation des candidats aux candidats noirs ou issus des minorités ? Non plus. C’est illégal depuis deux décisions de la Cour suprême en 2003.

Harvard évalue chaque candidat individuellement. Bien sûr, il faut un excellent dossier scolaire. Mais on considère aussi d’autres critères. La personnalité, la maturité, l’implication communautaire. Le candidat a-t-il été recruté pour pratiquer un sport ? Ses parents sont-ils des diplômés de Harvard, des employés de l’université ou des gens influents ? Et, finalement, l’origine raciale ou ethnique du candidat, un critère parmi tant d’autres. Une telle pratique est constitutionnelle, a tranché la Cour suprême en 2016 dans un dossier impliquant l’Université du Texas.

En pratique, le processus d’admission n’est pas imperméable aux inégalités, notamment économiques. « Un candidat [plus fortuné] peut avoir un tuteur privé [pour le préparer au test d’admission], un autre candidat, non », soulève la professeure Olatunde Johnson.

Par ailleurs, en Californie, la loi interdit aux universités publiques de tenir compte de l’origine raciale ou ethnique de ses candidats lors de l’admission.

Et au Québec ?

Il y a très peu de programmes d’accès à l’égalité dans les universités québécoises. L’admission à la quasi-totalité des programmes dépend la plupart du temps d’un seul critère : le dossier scolaire (la cote R au cégep). Les quatre facultés de médecine ont un programme d’accès à l’égalité pour les candidats autochtones.

Voici les autres programmes d’accès à l’égalité :

Université de Montréal : candidats de la communauté noire en médecine
Université Laval : une ou des places réservées à des candidats autochtones dans les programmes contingentés
Université de Sherbrooke : candidats autochtones en droit
Université McGill : candidats autochtones dans tous les programmes
Université du Québec à Montréal : candidats autochtones en droit et en travail social

En savoir plus
  • 4 %
    Pourcentage des candidats admis à Harvard (seulement 2320 des 57 786 candidatures ont été acceptées pour la promotion de 2025)
    SOURCE : Université Harvard