Elle est devenue le symbole de la « guerre contre le terrorisme », mais aussi d’un système d’incarcération sans procès ni accusations formelles. La prison militaire américaine de Guantánamo fête ses 20 ans ce mardi. La vaste majorité des 780 détenus ont été relâchés ou transférés. Mais il reste toujours 39 hommes derrière les barbelés.

Parmi eux, 13 ont reçu le feu vert pour être transférés – vers leur pays d’origine ou une terre d’accueil –, moyennant des garanties de sécurité.

Mark Maher, avocat pour l’organisme Reprieve US, représente l’un d’eux, l’Afghan Assadullah Haroon Gul. « C’est frustrant, parce que les gens comme lui ont des endroits où ils peuvent retourner, des familles et des pays qui sont prêts à les reprendre », dit-il au téléphone.

Un juge de la Cour fédérale a statué en octobre que M. Gul était détenu sans base légale. « À ce moment-ci, nous nous concentrons sur sa sortie, mais ce n’est pas clair quand ça arrivera », ajoute M. Maher.

Fermeture

Depuis son ouverture le 11 janvier 2002, la prison de Guantánamo a vu défiler des centaines d’hommes capturés pendant la guerre en Afghanistan. L’un d’eux, le Canadien Omar Khadr, n’avait que 15 ans lorsque les militaires américains l’ont emprisonné. La Cour suprême du Canada a conclu que ses droits constitutionnels avaient été violés.

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Manifestation pour la libération d’Omar Khadr à Montréal, en juillet 2008

Le président américain Barack Obama avait promis de fermer la prison de Guantánamo en 2009, se donnant une échéance d’un an. Il s’est cependant buté à l’opposition du Congrès.

L’actuel président, Joe Biden, a fait connaître l’an dernier son intention de fermer la prison avant la fin de son mandat.

Un seul détenu a été transféré hors de la prison depuis.

SOURCE GRAHPIC NEWS, INFOGRAPHIE LA PRESSE

20 ans pour Guantánamo

Hostilité et secrets

J. Wells Dixon s’est rendu à Guantánamo à de nombreuses reprises au cours des 16 dernières années pour défendre ses clients.

L’avocat principal du Center for Constitutional Rights se souvient d’un environnement « très hostile aux avocats » dans les premiers temps, entouré de « beaucoup de secret », où il était difficile d’obtenir même une confirmation sur l’identité des personnes détenues.

Quand j’y vais, je vois un endroit très différent de celui où j’ai mis les pieds pour la première fois il y a 16 ans, mais c’est encore un endroit qui cause une grande souffrance humaine.

J. Wells Dixon, avocat principal du Center for Constitutional Rights

Son dernier voyage sur place remonte à octobre. L’un de ses clients, Majid Khan, a alors reçu sa peine. Le Pakistanais de 41 ans, qui a vécu une partie de son adolescence aux États-Unis, est l’un des rares détenus à avoir eu un procès. Il a été condamné en octobre à 26 ans de prison, après avoir reconnu sa culpabilité et accepté de collaborer avec les autorités américaines.

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Capitaine de l’armée américaine marchant près de cellules inoccupées à la prison de Guantánamo

L’ex-messager d’Al-Qaïda a par ailleurs raconté devant les juges militaires avoir subi des simulations de noyade, avoir été battu et agressé sexuellement.

Il pourrait être libéré en février prochain, espèrent ses avocats. « C’est le seul détenu à haute valeur qui a vu son cas être résolu grâce à une entente de coopération, et vraiment le seul succès découlant du système de commissions militaires », souligne Katya Jestin, qui est aussi son avocate depuis un peu plus de 10 ans.

Opinion divisée

MJestin a témoigné en comité sénatorial en décembre dernier pour demander la fermeture de Guantánamo.

Au fil des ans, des rapports sur la torture et les violations des droits de la personne commis à Guantánamo ont ébranlé aussi la communauté internationale. Des experts indépendants mandatés par l’ONU ont également appelé, lundi, à fermer ce centre de détention.

Aux États-Unis, par contre, l’opinion reste partagée.

« C’est un sujet qui a beaucoup divisé la société américaine et qui la divise toujours beaucoup aujourd’hui, à l’instar de la forte polarisation des États-Unis sur maintes questions fondamentales », explique Mugambi Jouet, professeur adjoint de droit à l’Université McGill.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Un détenu de Guantánamo est aperçu derrière les grillages, en avril 2006

Il rappelle qu’aux États-Unis, où les peines peuvent être sévères même pour des crimes non violents, l’idée de « jeter la clé » de la cellule pour des gens vus comme des terroristes ne suscite pas forcément l’indignation.

« Les gens comprennent Guantánamo comme étant une exception, mais ce n’est pas vraiment le cas quand on compare au système standard de prison américain, au système de contrôle d’immigration américain, note Elspeth Van Veeren, de l’Université de Bristol. Il y a déjà des endroits comme ça où les gens sont dans les limbes et ne sont pas nécessairement traités dans des conditions décentes. »

Même si le président américain a promis la fermeture de la prison, le New York Times révélait le mois dernier la construction d’une deuxième salle d’audience sur place, qui doit être terminée en 2023. Parmi les 10 hommes qui doivent être jugés dans les prochaines années en commission militaire se trouve notamment Khalid Shaikh Mohammed, vu comme l’architecte des attentats du 11-Septembre.