(New York) La justice américaine va-t-elle classer sans suite une plainte au civil visant le prince britannique Andrew pour « agressions sexuelles » sur une Américaine il y a plus de 20 ans, lorsqu’elle était mineure ?

Un juge du tribunal fédéral de Manhattan, Lewis Kaplan, a écouté mardi, lors d’une audience cruciale retransmise en téléconférence, les arguments d’avocats de la plaignante américaine, Virginia Giuffre, et des défenseurs du second fils de la reine Elizabeth.

Le juge, qui a échangé vivement avec un avocat d’Andrew, a promis qu’il trancherait « très bientôt ». Probablement dans les prochains jours.

Le camp du prince fait tout depuis six mois pour convaincre la justice américaine d’abandonner la plainte civile que Mme Giuffre a déposée à New York en août.  

Âgée de 38 ans, cette femme affirme qu’Andrew l’a agressée sexuellement à trois reprises en 2001 – lorsqu’elle avait 17 ans et s’appelait Virginia Roberts – à Londres, New York et aux îles Vierges américaines.  

C’est là que résidait un couple d’amis du prince : le multimillionnaire américain Jeffrey Epstein, qui s’est suicidé en prison en 2019, à 66 ans, avant son procès pour crimes sexuels, et la mondaine britannique Ghislaine Maxwell, 60 ans, incarcérée à New York depuis 2020 et jugée coupable le 29 décembre de trafic sexuel de mineures au profit d’Epstein entre 1994 et 2004.

Prédateurs sexuels

Quels sont les arguments du prince Andrew, proche, donc, des prédateurs sexuels Epstein et Maxwell ?

Ses avocats s’appuient sur un accord de dédommagement et d’exonération scellé en 2009 entre Virginia Giuffre et Jeffrey Epstein. D’après eux, ce règlement vieux de 12 ans et rendu public lundi par la justice américaine « protège » aussi « d’autres accusés potentiels » dans l’entourage d’Epstein.

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Jeffrey Epstein, multimillionnaire américain mort en prison en 2019 et accusé de crimes sexuels  

C’est parce que Mme Giuffre a « abandonné ses droits à porter plainte contre eux en signant l’accord de 2009 et qu’elle a touché de l’argent de M. Epstein » que son action en justice contre le prince Andrew est « sans fondement », a plaidé l’avocat du duc d’York, Andrew Brettler.

Victime présumée d’Epstein et d’Andrew, Virginia Giuffre « avait l’intention [d’exonérer] une large catégorie d’individus, y compris des personnalités de la royauté et des hommes d’affaires », a insisté Me Brettler.

« Sans ambiguïté »

De fait, Mme Giuffre avait touché 500 000 dollars de Jeffrey Epstein et elle s’engageait selon le document contractuel de 2009 à ne poursuivre ni le financier, ni d’« autres accusés potentiels ». Andrew n’y est pas nommément cité mais, pour son avocat, « c’est sans ambiguïté ».

Au contraire pour le conseil de Mme Giuffre, David Boies, le prince n’est en rien « couvert » par la transaction de 2009, dont il n’avait « même pas connaissance » à l’époque.

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Virginia Giuffre, accompagnée de son avocat David Boies

De fait, la position du camp du prince est « difficile à vendre », dit le professeur de Droit de l’université Pace, Bennett Gershman, qui parie que le juge Kaplan rejettera la demande de classement de la plainte civile.

Pour l’instant, Andrew, 61 ans, n’est pas poursuivi au pénal.  

Au sein de la famille royale britannique, celui qui faisait figure de séducteur et de militaire courageux, et qui apparaît aujourd’hui comme un paria, nie « catégoriquement » avoir agressé Virginia Giuffre.

Pas de souvenir

Il affirme même ne pas se souvenir de cette jeune fille.

Les avocats de Mme Giuffre réclament à ceux d’Andrew un certificat médical attestant que son corps ne transpire pas, qu’il n’est jamais « en sueur ».

Dans une interview jugée calamiteuse sur la BBC en novembre 2019, le prince avait en effet nié avoir dansé « en sueur » avec la jeune fille dans une boîte de nuit de Londres il y a plus de 20 ans, comme elle l’avait raconté. Il souffrirait d’une impossibilité de « sudation » depuis la guerre des Malouines en 1982, où son organisme aurait secrété trop d’adrénaline.

Largement diffusées, nombre de photos attestent de la proximité entre Andrew, Jeffrey Epstein, Ghislaine Maxwell et Virginia Giuffre. Un cliché de 2000 montre le financier américain, la mondaine britannique et le prince à la chasse dans l’est de l’Angleterre. Dans un autre, Andrew et Virginia Giuffre se tiennent par la taille, tout sourire, avec Ghislaine Maxwell en arrière-plan.

Enfin, le juge Kaplan avait rejeté le 31 décembre une autre demande en nullité formée par le prince, au motif que Mme Giuffre ne pourrait pas porter plainte aux États-Unis, car elle réside en Australie.

Si tous les recours d’Andrew échouent, un procès au civil pourrait se tenir « entre septembre et décembre » cette année, avait dit à l’automne 2021 le juge Kaplan.