Qui sont les partisans de Donald Trump qui ont pris d’assaut le Capitole des États-Unis le 6 janvier dernier ? Le politologue de l’Université de Chicago Robert Pape a tenté de répondre à cette question en analysant avec son équipe le profil de 677 des quelque 700 personnes arrêtées pendant et après l’attaque. Il a également conçu deux grands sondages nationaux pour mesurer le sentiment insurrectionnel aux États-Unis. La Presse s’est entretenue avec lui.

Q. Quelle est la conclusion la plus importante de votre analyse ?

R. La chose la plus importante à savoir est que le mouvement insurrectionnel est un mouvement grand public. La plupart du temps, nous avons l’habitude de considérer l’extrémisme de droite comme un mouvement marginal. Nous avons l’habitude de penser à la violence des skinheads. Nous avons l’habitude de penser à la violence des groupes de miliciens. Cette violence existe. Mais elle ne représente pas ce qui s’est passé, en grande partie, le 6 janvier.

Q. Que voulez-vous dire ?

R. Notre analyse révèle que plus de la moitié des individus arrêtés sont des chefs d’entreprise, des PDG, des cols blancs comme des médecins, des avocats et des architectes. Seuls 7 % d’entre eux étaient au chômage au moment où ils ont pris d’assaut le Capitole, ce qui était proche de la moyenne nationale. Le profil économique était donc très différent du profil économique habituel des extrémistes de droite. Et seuls 13 % de ceux qui ont été arrêtés étaient membres de groupes extrémistes comme les Oath Keepers ou les Proud Boys.

Q. Qu’en est-il des anciens combattants ?

R. Quinze pour cent des personnes arrêtées sont des vétérans de l’armée. En comparaison, 10 % de la population américaine est constituée d’anciens combattants. Et vous devez savoir que dans les évènements de violence impliquant l’extrême droite, nous voyons habituellement 40 % de vétérans militaires. Ces 15 % sont importants, car ils ont des compétences létales. Mais cela aussi reflète davantage le courant dominant que le profil habituel de l’extrémisme de droite.

Q. Que pouvez-vous dire du profil démographique des individus arrêtés ?

R. En ce qui concerne le sexe et la race, ils correspondent au profil des extrémistes de droite. Sur près de 700 personnes arrêtées le 6 janvier, 93 % sont blanches. Et 85 % d’entre elles sont des hommes, ce qui correspond là encore au schéma habituel des extrémistes de droite. Mais les similitudes s’arrêtent là.

Q. Qu’avez-vous découvert concernant l’endroit d’où viennent les insurgés ?

R. Plus de la moitié d’entre eux, soit 52 %, viennent de comtés gagnés par Joe Biden lors de l’élection présidentielle de 2020. Cela signifie qu’ils viennent de San Francisco, de Los Angeles, de Chicago, de New York, de Philadelphie, de Houston, de Dallas. Ils viennent surtout des grandes zones urbaines où les démocrates gagnent facilement. Ils ne viennent pas principalement de l’Amérique rurale ou de la partie la plus rouge de l’Amérique.

Q. C’est quand même étonnant. Quelle est votre explication ?

R. La principale caractéristique des comtés qui ont envoyé le plus d’insurgés est le fait que le comté a perdu une partie de sa population blanche. Plus un comté perd sa population blanche non hispanique, plus il est probable qu’il a envoyé un insurgé le 6 janvier 2021.

Q. La question raciale a donc joué un rôle clé dans l’attaque du Capitole ?

R. Nous avons des dirigeants politiques et des gens dans les médias qui ont adopté une théorie du complot de la droite appelée le « Grand Remplacement », qui était naguère une idée marginale. Cette théorie affirme que les droits des Blancs sont en train d’être supplantés par ceux des minorités, que le Parti démocrate ouvre délibérément les portes aux étrangers afin qu’ils puissent modifier l’électorat et écraser la majorité blanche aux États-Unis. Je ne pense pas qu’il faille s’étonner que les personnes recevant ces messages deviennent enragées.

Q. Les Américains doivent-ils craindre que cette rage engendre encore plus de violence ?

R. Nous avons commandé une vaste enquête nationale qui démontre que 8 % des adultes américains, soit 21 millions de personnes, sont d’accord pour dire, d’une part, que Biden a volé l’élection présidentielle de 2020 et est un président illégitime et, d’autre part, que le recours à la force pour rétablir Trump dans ses fonctions est justifié. Pour comprendre ce que cela signifie, il est préférable d’utiliser l’analogie d’un incendie de forêt. Ces 21 millions de personnes représentent le petit bois sec du pays, le matériau combustible qui peut être déclenché par un coup de foudre ou une étincelle politique.