(Washington) Une petite phrase du chef des sénateurs républicains a replacé la Cour suprême des États-Unis au cœur des luttes politiques et accentué la pression sur son doyen pour qu’il démissionne sans tarder.

Fidèle à sa réputation de stratège roué, Mitch McConnell a reconnu lundi que les républicains, s’ils reprenaient le contrôle du Sénat lors des élections de 2022 et si un siège se libérait ensuite à la haute cour, bloqueraient tout candidat du président Joe Biden.

« Aucun parti majoritaire, s’il est différent de celui du président, ne confirmerait un juge à la Cour suprême en plein milieu d’une élection », soit en 2024, a-t-il justifié. Et quid de 2023 ? « Il faudra voir », a-t-il ajouté dans un entretien radiophonique.  

Le statut des neuf sages du temple du droit américain est ambivalent : ils sont nommés à vie, ce qui garantit leur indépendance ; mais ils sont choisis par le président et confirmés par le Sénat, ce qui leur colle à jamais des étiquettes politiques.

De plus, ils tranchent les sujets sur lesquels les élus du Congrès ne parviennent pas à s’entendre : ce sont eux qui ont imposé la fin de la ségrégation dans les écoles, reconnu le droit des femmes à avorter, des homosexuels à se marier, etc.

Dans une Amérique de plus en plus divisée, leur sélection a suscité plusieurs crises politiques aiguës.

En 2016, les républicains majoritaires au Sénat avaient refusé pendant neuf mois d’auditionner un magistrat choisi par Barack Obama pour pourvoir un poste ouvert par un décès à la Cour suprême, ce qui a permis à Donald Trump d’imprimer sa marque sur la Cour dès son arrivée à la Maison-Blanche.

Une démission en 2018 lui a permis de nommer un second magistrat dans un climat très acrimonieux. Et quand l’icône progressiste Ruth Bader Ginsburg s’est éteinte, à moins de deux mois de l’élection de 2020, les républicains ont confirmé à marche forcée la juge Amy Coney Barrett, égérie de la droite religieuse.  

« Politiques en toge »

Pour tenter de diluer l’influence des conservateurs (six sièges sur neuf), des voix à gauche réclament désormais l’ajout de nouveaux sièges à la Cour. Autrefois opposé à cette idée peu consensuelle, Joe Biden a confié à une commission d’experts le soin de l’examiner. Ses conclusions seront rendues à l’automne.

En attendant, afin de sauvegarder a minima les trois sièges progressistes, certains appellent le doyen de la Cour, Stephen Breyer, 82 ans, à prendre sa retraite tant que le parti a le contrôle du Sénat.

PHOTO ERIN SCHAFF, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le juge Stephen Breyer, doyen de la Cour suprême des États-Unis

« Le juge Breyer, pour lequel j’ai le plus grand respect, devrait se retirer à la fin de cette session », avait déclaré dès avril le parlementaire démocrate Mondaire Jones. « Est-ce nécessaire, oui et oui ! », a-t-il martelé lundi.

Interrogée à ce sujet, la star de l’aile gauche démocrate Alexandria Ocasio-Cortez a dit ce week-end « pencher pour » un départ du juge.

Stephen Breyer, un progressiste nommé à la haute Cour en 1994 par Bill Clinton, n’a pas réagi. Ancien conseiller juridique au Sénat, il a une fine compréhension des arcanes du pouvoir mais il est aussi très attaché à donner une image impartiale de la Cour.

En avril à Harvard, il a rappelé que la confiance du public dans l’État de droit diminuerait si « le public avait l’impression que les juges sont des politiques en toge ».

« Les campagnes trop politiques, comme le camion “Breyer, démission” (qui circule parfois à Washington) risquent d’être contre-productives et de l’inciter à rester en poste », remarque Christine Kexel Chabot, universitaire à Chicago et auteur d’un livre sur les départs de la Cour suprême.

Mais les batailles de 2016 et 2020 ont montré « que se maintenir à la Cour pouvait aussi créer le bazar politiquement » : un décès en pleine année électorale « peut jeter une lumière indésirable sur la Cour suprême », ajoute-t-elle, sans savoir si cela pèsera dans la décision du juge Breyer.

Pour ne pas le placer en porte à faux, les élus démocrates s’abstiennent, pour la plupart, de commentaire. Tout en préparant la suite.

Lundi, ils ont confirmé la juge afro-américaine Ketanji Brown Jackson à la cour d’appel fédérale de Washington, un tremplin pour la Cour suprême. Joe Biden a promis que, s’il en avait l’occasion, il nommerait une femme noire au sein de la haute juridiction.