(New York) Cent ans plus tard, les Américains ne peuvent plus ignorer le massacre racial de Tulsa, qui a fait jusqu’à 300 morts et détruit le quartier où ces Noirs vivaient et dont le surnom reflétait la prospérité économique : « Black Wall Street ».

Longtemps occulté de la mémoire collective américaine, cet épisode de violence raciste, l’un des pires de l’histoire des États-Unis, a pris la place qui lui revenait mardi à l’occasion d’une visite présidentielle sans précédent.

« Les événements dont nous parlons aujourd’hui ont eu lieu il y a 100 ans et pourtant, je suis le premier président en 100 ans à venir à Tulsa », a déclaré Joe Biden après avoir rencontré trois survivants du massacre, dont Viola Fletcher, aujourd’hui âgée de 107 ans.

« Pendant trop longtemps, l’histoire de ce qui s’est passé ici a été racontée en silence, dans l’obscurité. Mais ce n’est pas parce que l’histoire est silencieuse qu’elle n’a pas eu lieu. Et si l’obscurité peut cacher beaucoup de choses, elle n’efface rien. Elle n’efface rien. »

Certaines injustices sont si odieuses, si horribles, si graves, qu’elles ne peuvent être enterrées, quels que soient les efforts des gens.

Joe Biden, à Tulsa

Le massacre de Tulsa a commencé le 31 mai 1921 lorsque des hommes noirs ont quitté leur quartier, connu officiellement sous le nom de Greenwood, pour défendre un adolescent noir accusé faussement, selon des témoignages, d’avoir agressé une adolescente blanche. Ils se sont retrouvés devant le tribunal de Tulsa face à des centaines de citoyens blancs prêts à participer à un lynchage.

« Ce n’était pas une émeute »

Certains membres des deux groupes étaient armés. Des coups de feu ont éclaté. En infériorité numérique, les hommes noirs sont rentrés à Greenwood de façon précipitée. Mais les Blancs ont investi le quartier ce jour-là et le lendemain pour piller et brûler commerces et maisons avec la complicité des policiers, qui ont armé certains émeutiers.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Bâtiments incendiés à Tulsa, en Oklahoma, le 1er juin 1921

Des avions ont largué des bombes incendiaires. Des soldats de la Garde nationale ont été mobilisés pour empêcher une contre-attaque des citoyens noirs. À la fin, en plus de quelque 300 morts et 800 blessés, 1000 bâtiments ont été détruits sur 40 pâtés de maisons et 10 000 Afro-Américains se sont retrouvés sans abri.

Qu’à cela ne tienne, aucune arrestation n’a été effectuée. Et aucune indemnisation n’a été versée par les compagnies d’assurance aux Afro-Américains dont les propriétés avaient été détruites.

« Mes compatriotes américains, ce n’était pas une émeute », a déclaré Joe Biden en rappelant le mot employé par les médias de Tulsa il y a 100 ans pour parler des violences racistes à Greenwood. « C’était un massacre », a-t-il enchaîné sous les applaudissements nourris de son auditoire. « Parmi les pires de notre histoire. Mais pas le seul – et, pendant trop longtemps, oublié par notre histoire. »

Dans son discours, Joe Biden a notamment rappelé qu’un couple d’Afro-Américains d’un certain âge avait été abattu alors qu’il était en train de prier.

« Nous ne pouvons pas choisir d’apprendre ce que nous voulons savoir et non ce que nous devrions savoir, a-t-il dit. Nous devrions connaître le bon, le mauvais, tout. C’est ce que font les grandes nations. »

Des critiques progressistes

Le président démocrate a profité de la commémoration du centenaire du massacre de Tulsa pour dévoiler plusieurs initiatives destinées à réduire l’écart de richesse racial. L’une d’elles a pour objectif d’augmenter de 50 % les contrats fédéraux accordés aux entreprises détenues par des minorités.

Mais aucune de ces initiatives ne répond aux demandes des partisans ou critiques les plus progressistes de Joe Biden. Ceux-ci réclament notamment l’annulation des dettes étudiantes, qui affectent les Noirs de façon disproportionnée.

« L’endettement étudiant continue de freiner la prospérité économique des Noirs américains à travers la nation », a déclaré Derrick Johnson, président de la NAACP, organisation de défense des droits civiques, dans un communiqué.

On ne peut pas commencer à s’attaquer à l’écart de richesse racial sans s’attaquer à la crise de la dette des prêts étudiants.

Derrick Johnson, président de la NAACP, organisation de défense des droits civiques

D’autres ont reproché à Joe Biden de ne pas avoir abordé la question des réparations aux descendants d’esclaves ou celle de l’indemnisation des parents des victimes du massacre de Tulsa.

La commémoration du massacre de Tulsa a servi à Joe Biden de prétexte à une autre annonce : le président a demandé à Kamala Harris de diriger les efforts démocrates pour assurer l’adoption par le Congrès d’une réforme du système électoral. Il a qualifié d’« assaut sans précédent contre notre démocratie » les projets de loi adoptés ou proposés par plusieurs États dominés par des républicains pour restreindre le droit de vote.

« Ce droit sacré est attaqué avec une intensité incroyable comme je ne l’ai jamais vu », a-t-il déclaré.