Quatre mois après l’assaut mortel contre le Capitole, la dérive autoritaire du Parti républicain est plus visible que jamais – et mine les fondements mêmes de la démocratie américaine, explique Ruth Ben-Ghiat, spécialiste du fascisme, professeure d’histoire à l’Université de New York et autrice du livre à succès Strongmen – Mussolini to the Present. La Presse lui a parlé.

Q. Donald Trump est beaucoup moins présent dans les médias depuis quelques mois. Mais vous dites que, sous la surface, son influence se fait plus sentir que jamais…

R. Exactement. J’avais prédit l’automne dernier que le culte de la personnalité de Trump continuerait même après sa défaite, et c’est ce qu’on voit aujourd’hui. Ce n’était pas inévitable : l’insurrection ratée du 6 janvier donnait l’excuse parfaite au Parti républicain pour rejeter Trump. Le parti aurait pu dire que Trump était toxique, qu’il avait incité à cette insurrection ratée, que Mike Pence avait été pourchassé par des émeutiers qui voulaient le pendre… C’était facile pour lui de désavouer Trump à ce moment-là.

Mais ce n’est pas ce qu’il a choisi. Au contraire, l’assaut du 6 janvier a électrisé le Parti républicain, qui s’est plus que jamais mis à embrasser le non-respect des lois. Cela faisait un certain temps que, sous l’influence de Trump, le parti développait une culture autoritaire, une culture où les dissidents étaient vus comme des ennemis.

Depuis, le parti a doublé la mise, notamment en adoptant des lois sur la suppression de vote à l’échelle du pays ou des lois qui permettent de renverser des manifestants avec sa voiture, et en punissant des républicains comme Liz Cheney ou Mitt Romney qui sont pour le respect des lois. Les républicains leur envoient le message qu’ils n’ont aucun avenir au sein du parti. Le culte de Trump continue.

PHOTO FOURNIE PAR RUTH BEN-GHIAT

Ruth Ben-Ghiat, spécialiste du fascisme, professeure d’histoire à l’Université de New York

Q. Loin de disparaître avec le temps, l’affirmation mensongère de Trump voulant que l’élection ait été volée par Joe Biden fait maintenant partie des croyances partagées par la droite américaine.

R. Un mensonge qui attaque les fondements mêmes de notre démocratie est devenu un cri de ralliement du Parti républicain. Les républicains ont sombré dans l’autoritarisme. Ce que le parti dit à ses électeurs, c’est de rejeter ce que leurs propres oreilles et leurs propres yeux leur disent, et de protéger Trump à tout prix. Trump n’est plus là, mais ses mensonges sont maintenant au cœur de l’identité républicaine.

Je crois que les élus républicains jouent un jeu très cynique. Ils ont compris que ces thèmes faisaient réagir leurs électeurs, alors c’est ce à quoi ils consacrent leur attention et leur énergie. Trump est un spécialiste du marketing, et on en voit les conséquences aujourd’hui.

Bien des gens ont longtemps cru que le fait que les États-Unis possèdent un système politique à deux partis en faisait un pays plus stable. Mais qu’est-ce que vous faites quand l’un des deux partis rejette les normes démocratiques ? C’est un immense problème.

Q. Il y a quelques années, pourtant, beaucoup d’observateurs disaient que Trump allait se mouler à la fonction de la présidence, qu’il deviendrait « présidentiel »…

R. En fait, le contraire s’est produit. C’est son parti qui est devenu comme Trump, qui s’est moulé à lui. Les élus républicains se bousculent presque aujourd’hui pour lui être serviles, pour nier la démocratie. Ça fait peur.

L’exemple le plus criant de la transformation du Parti républicain est, j’y reviens, le silence de Mike Pence. Pensez-y un instant : il était vice-président, il a été poursuivi par des émeutiers qui cherchaient à le pendre après que Trump l’eut menacé dans un discours. Et malgré tout ça, Mike Pence n’est pas prêt à dénoncer Trump. C’est surréel.

On voit des images de Trump ces jours-ci faisant des discours lors de fêtes à Mar-a-Lago, et tout ça est un peu triste. Mais tant et aussi longtemps que le parti ne le désavouera pas, je crois qu’on doit continuer à le prendre au sérieux.