(New York) Jerushah Duford, petite-fille du célèbre télévangéliste Billy Graham, n’est pas toujours au diapason des membres de sa famille. L’année dernière, par exemple, elle a divergé de son oncle Franklin Graham, autre prédicateur influent, en annonçant son appui à Joe Biden.

Mais cette auteure et conférencière de 43 ans se réjouit aujourd’hui de participer avec ce même oncle à un combat commun : convaincre les évangéliques blancs de se faire vacciner contre la COVID-19. Le mois dernier, Franklin Graham a annoncé sur sa page Facebook avoir reçu le vaccin de Moderna. Lors d’une entrevue à ABC, il a par la suite affirmé que son propre père aurait fait de même, tout comme Jésus d’ailleurs.

« Je suis très surprise qu’il ait fait cela », a déclaré à La Presse Jerushah Duford depuis sa résidence de Greenville, en Caroline du Sud. « Il a dû revenir un peu sur ses propos après avoir essuyé les critiques de sa base, mais je suis contente. Je suis très reconnaissante parce que je pense que certaines personnes l’écouteront. »

Reste à voir combien.

Pour le moment, les 41 millions d’évangéliques blancs forment le groupe démographique le plus réfractaire à la vaccination contre la COVID-19 aux États-Unis.

Seulement 53 % d’entre eux avaient l’intention de se faire vacciner — ou l’avaient déjà fait —, comparativement à 77 % des Américains n’appartenant pas à ce groupe, selon un sondage publié le 1er avril dernier par l’organisation Ad Council.

Cette réticence pourrait avoir pour conséquence de prolonger plus longtemps que nécessaire la pandémie de COVID-19 aux États-Unis. D’où l’urgence de la combattre, selon Jerushah Duford.

« Un plus grand nombre de leaders évangéliques influents doivent s’exprimer en faveur de la vaccination et rappeler aux chrétiens que nous devons faire passer les autres avant nous-mêmes », a-t-elle déclaré.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE JERUSHAH DUFORD

Jerushah Duford

La « marque de la bête »

Mais la peur et la méfiance de la vaccination habitent plusieurs évangéliques blancs. La représentante républicaine de Géorgie Marjorie Taylor Greene a exprimé ces sentiments récemment en diffusant sur sa page Facebook une vidéo dans laquelle elle établit un lien entre les vaccins contre la COVID-19 et la « marque de la bête » dont parle l’Apocalypse, dernier livre de la Bible.

À ses yeux, la marque de la bête pourrait prendre la forme d’un passeport vaccinal que réclameraient les gouvernements ou les entreprises pour donner aux citoyens ou aux consommateurs le droit de participer à certaines activités.

Même si ses propos sont confus et extrêmes, l’élue souvent associée au mouvement complotiste QAnon exprime une crainte répandue chez les évangéliques blancs.

Le discours que je vois émerger dit que l’enregistrement des vaccinations mènera à une restriction des libertés civiles, à une restriction de la capacité des gens de voyager librement et de participer pleinement à la vie de leurs communautés.

Samuel Perry, professeur de rhétorique à l’Université Baylor, au Texas, en entrevue à La Presse

Auteur d’un livre sur la droite religieuse publié en 2019, le professeur Perry croit reconnaître dans l’attitude des évangéliques blancs à l’égard de la vaccination une tendance « à présenter toute question politique ou sanitaire comme une question de liberté religieuse ».

« Et une fois que la question est recadrée comme une question religieuse, […] les gens s’accrochent plus que jamais à leur position », a-t-il ajouté.

Le phénomène n’est pas nouveau, selon lui.

« Même si je crois que l’administration Trump a exacerbé la réticence vaccinale et le déni de la science, je ne pense pas qu’elle en soit la cause. C’est un problème qui dure depuis longtemps », a expliqué le professeur Perry en déplorant notamment l’incapacité de l’éducation évangélique « à enseigner la manière de traiter l’information de manière critique ».

Des arguments bibliques

Pour tenter de pallier ce problème, Redeeming Babel propose des arguments bibliques pour promouvoir la vaccination contre la COVID-19. Avec un groupe de partenaires, dont l’Ad Council, cette organisation évangélique présente une série de huit vidéos répondant à diverses questions.

L’une d’elles s’attaque à la théorie du complot propagée par Marjorie Taylor Greene et plusieurs autres évangéliques : « Est-ce que le vaccin contre la COVID-19 est la “marque de la bête” ? »

PHOTO C.B. SCHMELTER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Marjorie Taylor Greene, représentante républicaine de Géorgie, a diffusé sur Facebook une vidéo dans laquelle elle établit un lien entre les vaccins contre la COVID-19 et la « marque de la bête ».

« Tout au long de l’histoire moderne, certains chrétiens ont utilisé cette lecture [sur la fin des temps] pour affirmer qu’une institution particulière de l’époque était la bête prédite par Apocalypse 13 », explique Curtis Chang, professeur de théologie à l’Université Duke. « Il s’agissait généralement d’une institution dont le lecteur se méfiait déjà au départ. Lorsque la Sécurité sociale a été mise en place dans les années 1930 et qu’elle a suscité une controverse politique, certains opposants chrétiens ont qualifié l’administration Roosevelt de “bête” et le numéro de Sécurité sociale de “marque de la bête”. »

« Et maintenant, c’est ce qui se passe avec le vaccin. La bête est le gouvernement, ou les CDC, ou une autre institution. Et le vaccin lui-même est la “marque de la bête” », ajoute le professeur Chang avant d’analyser plusieurs passages de l’Apocalypse pouvant justifier la vaccination.

C’est peut-être trop subtil pour Marjorie Taylor Greene, qui est convaincue de s’être protégée contre la COVID-19 grâce à son entraînement de CrossFit.

Mais Jésus, son Sauveur, ne serait pas impressionné par ses tractions, à entendre Jerushah Duford.

« Je pense que Jésus serait pour la science, pour le masque et pour le vaccin, a dit la petite-fille de Billy Graham. Et je suis triste que certaines personnes se fassent une idée de Jésus qui est très différente de ce qu’il était. »