(New York) Au bout du quai, Andrew Yang prend la pose pour le photographe d’un hebdomadaire new-yorkais. Les gratte-ciel de Manhattan se dressent en toile de fond. Le produit final pourrait intensifier le phénomène politique de l’heure à New York : contre toute attente, l’ex-candidat présidentiel domine tous ses rivaux démocrates dans la course à la succession du maire Bill de Blasio.

Au même moment, au milieu du quai, Mitchell Taylor explique pourquoi l’inexpérience de l’entrepreneur de 46 ans en matière d’affaires municipales ne l’empêcherait pas de voter pour lui à l’occasion de la primaire démocrate, prévue le 22 juin prochain.

« Je n’ai pas encore appuyé un candidat », précise d’entrée ce pasteur d’une église de Hunter’s Point, dans l’arrondissement de Queens. « Mais je vais vous dire ceci : je juge tout candidat sur sa capacité de mettre sur pied une campagne efficace. Ça devient pour moi un test déterminant. J’ai vu des candidats mener des campagnes bâclées, sans discipline ni suivi. Cela m’a dit qu’ils n’auraient pas fait de bons dirigeants. Ce n’est pas le cas d’Andrew Yang. Sa campagne est très bien menée. »

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Andrew Yang pose pour un photographe sur le quai de Long Island City, à New York, mercredi.

Sur ce quai longeant l’East River, les deux hommes ont participé mercredi à une conférence de presse où Andrew Yang a donné son appui à la construction d’une centrale à énergie renouvelable à Long Island City, quartier voisin de Hunter’s Point.

« Nous sommes ici pour parler de deux choses qui vont être essentielles à la reprise de la ville de New York : bâtir des choses et créer des emplois verts », a dit le candidat sur un ton enthousiaste, avant d’expliquer le projet, de répondre aux questions des journalistes et d’aller poser pour une photo qui se retrouvera peut-être en couverture d’une publication new-yorkaise.

« Chouchou des médias »

Pourra-t-il tenir le rythme jusqu’au 22 juin ? Durant la première semaine de mars, l’Emerson College a publié un sondage à couper le souffle. Andrew Yang récoltait 32 % des intentions de vote auprès des électeurs susceptibles de participer à la primaire démocrate, très loin devant Eric Adams, président de l’arrondissement de Brooklyn (19 %), Maya Wiley, ex-membre de l’administration de Blasio (9 %), et Scott Stringer, contrôleur général des finances de New York (6 %), entre autres.

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Maya Wiley, candidate démocrate à la mairie de New York

L’avance d’Andew Yang n’était pas aussi prononcée dans un sondage subséquent, mais il demeurait le meneur incontesté. Comment expliquer cette performance inattendue ? La plupart des analystes l’imputent à la notoriété qu’il a acquise en briguant l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2020. Cette campagne – sa toute première en politique – lui a notamment permis de montrer sa maîtrise des réseaux sociaux et des médias traditionnels. Maîtrise qui continue à bien le servir à New York, où il offre une version modifiée de son idée maîtresse : un revenu minimum garanti.

« Il est le chouchou des médias. C’est le petit nouveau sur la scène », indique John Mollenkopf, politologue à l’Université de la ville de New York.

Il donne à la presse de meilleurs éléments pour écrire une histoire sur lui que les autres candidats.

John Mollenkopf, politologue à l’Université de la ville de New York

Mais ce spécialiste des politiques urbaines ne cache pas son scepticisme à l’égard d’Andrew Yang. D’une part, il n’accorde aucun crédit aux plus récents sondages, qui ne reflètent pas selon lui l’électorat qui participera à la primaire du 22 juin. D’autre part, il met en doute les capacités du candidat de gérer la plus grande ville des États-Unis au moment où elle traverse l’une des pires crises de son histoire.

« Le gars ne sait même pas quelles lignes du métro se rendent au Yankee Stadium », ironise-t-il à propos du natif de Schenectady, ville située dans le nord de l’État de New York.

Outsider : un atout

À l’opposé, Nicole Gelinas, chercheuse au Manhattan Institute, groupe de réflexion conservateur, prend le phénomène Yang au sérieux. Elle estime que les électeurs new-yorkais ont tendance à rechercher un outsider en temps de crise. Elle cite l’exemple de Rudolph Giuliani et Michael Bloomberg, qui ont été élus à la mairie de New York après avoir fait leur marque à l’extérieur de la politique et au moment où leur ville faisait face à des problèmes majeurs (la criminalité en 1993 et les attentats du 11-Septembre en 2001).

Selon Nicole Gelinas, Andrew Yang est l’un des deux candidats à la mairie pouvant être qualifiés d’outsiders, l’autre étant Raymond McGuire, ex-vice-président afro-américain de Citigroup. Mais Yang a peut-être un avantage sur McGuire, n’étant pas issu de Wall Street.

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Scott Stringer, contrôleur général des finances de New York et candidat démocrate à la mairie

« Être un outsider du monde politique et du monde des affaires est un atout aux yeux de nombreux électeurs », affirme la chercheuse du Manhattan Institute.

[Les électeurs] ne veulent peut-être pas avoir quelqu’un qui exerce une fonction politique depuis plusieurs années, comme Scott Stringer, qui est responsable d’une part des problèmes que nous avons. Mais ils ne veulent pas non plus élire un banquier, qui est aussi responsable d’une part des problèmes que nous avons.

Nicole Gelinas, chercheuse au Manhattan Institute,

S’il parvenait à remporter la primaire démocrate et l’élection à la mairie, Andrew Yang serait le premier maire de New York issu du monde des OBNL, note Nicole Gelinas. En 2011, cet avocat de formation a fondé Venture For America après être devenu millionnaire en vendant son entreprise de tutorat. Son organisation, qui a pour mission de préparer de jeunes diplômés à des carrières d’entrepreneur, lui a valu de faire partie de la liste des « champions du changement » annoncée par Barack Obama en 2012.

Attaques politiques et racistes

Mais ce parcours atypique l’a également exposé à une attaque féroce récemment. Attaque lancée par un de ses plus importants rivaux, Eric Adams, capitaine à la retraite du NYPD et président de l’arrondissement de Brooklyn depuis 2014.

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Eric Adams, président de l’arrondissement de Brooklyn et candidat démocrate à la mairie de New York

« Nous avons besoin d’un col bleu comme maire pour gérer une ville de cols bleus », a déclaré ce politicien afro-américain, en acceptant l’appui d’un syndicat, le 24 mars dernier. « Ce n’est pas une entreprise émergente. C’est une ville où un leader doit avoir été un travailleur. Les gens comme Andrew Yang n’ont jamais occupé un emploi de toute leur vie. Et vous n’allez pas venir dans cette ville et penser que vous allez mépriser les gens qui font fonctionner cette ville. »

Yang a dénoncé les attaques de son rival, les qualifiant de « fausses et répréhensibles ». Mais ce n’est peut-être qu’un prélude de ce qui attend le meneur de la course.

En même temps, Andrew Yang occupe une place unique dans cette course. Fils d’immigrés taïwanais, il est le seul candidat asio-américain à briguer la mairie de New York au moment où des membres de sa communauté sont victimes d’actes de racisme quotidiens dans sa ville ou ailleurs aux États-Unis.

Mercredi, il a été ainsi invité à commenter l’arrestation d’un homme de 38 ans à la suite de l’attaque sauvage d’une New-Yorkaise d’origine philippine qui s’est produite sous les yeux des employés indifférents d’un immeuble de luxe.

« Cela aurait pu facilement être ma mère », a-t-il dit en ajoutant que le comportement des employés de l’immeuble était « exactement le contraire de ce dont nous avons besoin ici à New York ».

Mais cela ne l’empêche pas de faire campagne avec sa femme d’origine asiatique et leurs deux enfants. Quand les salles de cinéma de New York ont rouvert leurs portes, les Yang étaient au rendez-vous, suivis par les caméras de télévision. Jeudi, ils étaient également parmi les spectateurs qui se sont présentés au Yankee Stadium, où avait lieu l’ouverture de la saison des Bronx Bombers.

« Je trouve réconfortante sa candidature à la mairie », a dit Luna Wang, une résidante d’origine asiatique de Long Island City, après avoir observé de loin la conférence de presse d’Andrew Yang. « Ce serait un retour des choses incroyable que New York élise un premier maire d’origine asiatique. »