(Minneapolis) « Blessé » et « transformé à jamais » par la mort de son neveu George Floyd, Selwyn Jones aborde avec appréhension le procès du policier qui l’a tué,  échaudé par la clémence historique du système judiciaire américain envers les forces de l’ordre.

« Je veux que justice soit rendue, même si, dans mon cœur, cela ne sera jamais juste », confie à l’AFP l’oncle maternel de cet Afro-Américain dont le nom a fait le tour du monde après sa mort, le 25 mai, sous le genou d’un policier blanc de Minneapolis.

L’agent Derek Chauvin, qui a maintenu sa pression sur le cou de George Floyd pendant près de neuf minutes malgré ses supplications, a été inculpé de meurtre et son procès s’ouvre lundi dans la grande ville du nord des États-Unis.

« Évidemment, je veux qu’il soit déclaré coupable », déclare M. Jones, 55 ans, qui vit à Gettysburg dans le Dakota du Sud et espère assister à des pans du procès, bien que, COVID-19 oblige, un seul siège soit réservé à la famille dans la salle d’audience.

Pour lui, la vidéo du drame, filmée et mise en ligne par une passante, ne laisse aucun doute : Derek Chauvin « est autant coupable qu’on puisse l’être ».  

Lui l’a d’abord vue à la télévision sans reconnaître la victime. Un appel de sa sœur le lui a révélé. « C’est comme si on m’avait arraché le cœur », se rappelle-t-il, en se disant incapable d’oublier les images de son neveu « suppliant, implorant et prédisant sa propre mort ».

Quant à Derek Chauvin, « il agissait comme s’il n’y avait personne autour de lui », note Selwyn Jones. « C’est comme s’il avait pensé : je peux faire ce que je veux parce que je suis policier et blanc et que nous sommes les maîtres du monde ! »

« Se faire entendre »

Malgré la force de cet enregistrement, M. Jones appréhende le verdict, qui n’est pas attendu avant plusieurs semaines.

« Avec des questions techniques, ils peuvent manipuler le système », « on l’a souvent vu dans le passé », relève-t-il, en rappelant que les policiers américains bénéficient d’une large immunité judiciaire de fait.

L’exemple le plus emblématique est l’acquittement en 1992, à Los Angeles, des policiers qui avaient passé à tabac Rodney King, malgré une vidéo sans équivoque des violences. Cette décision avait été suivie d’émeutes meurtrières, un scénario qui pourrait se répéter si Derek Chauvin échappait à la prison, met en garde M. Jones.

« S’ils le laissent s’en sortir, alors on n’aura plus qu’à prier pour Minneapolis et pour un bon nombre d’endroits, parce que les gens vont se déchaîner », prédit-il. « Je déteste les émeutes, mais parfois c’est la seule manière de se faire entendre ».

Pour le quinquagénaire, la forte mobilisation qui a suivi la mort de son neveu a déjà permis d’aller plus loin que dans d’autres dossiers de violences policières.

« Par hasard, la mort de mon neveu a eu lieu pendant une pandémie et tout le monde a pu voir à quoi ressemblent le racisme, le pouvoir et le contrôle », dit-il. « La seule raison » pour laquelle Derek Chauvin et ses confrères ont été arrêtés « c’est parce que les gens n’en pouvaient plus et qu’ils ont commencé à le faire savoir. »

L’annonce de nouvelles manifestations en marge du procès et l’attention médiatique qu’il suscite lui donnent donc, malgré tous ses doutes, un peu d’espoir : « Il y a tellement de pression sur ce dossier, ils sont obligés de faire quelque chose ».