(Washington) Le coup d’État militaire en Birmanie met d’emblée à l’épreuve la volonté du nouveau président américain Joe Biden de défendre la démocratie à travers le monde, d’autant que la tâche s’annonce plus délicate qu’il y a dix ans.

L’ouverture du pays asiatique après des années de fermeture avait été considérée comme un succès diplomatique majeur de l’ex-président Barack Obama, dont Joe Biden était le bras droit.

Mais la cheffe de facto du gouvernement civil Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix arrêtée lundi par l’armée, a depuis perdu son statut d’icône démocratique en raison de son attitude controversée face à la répression des musulmans rohingya.

Dans un communiqué musclé, le président Biden a appelé l’armée birmane à rendre « immédiatement » le pouvoir. Et il a menacé de rétablir les sanctions levées au cours de la décennie écoulée, après la libération d’Aung San Suu Kyi en 2010 et le partage du pouvoir entre la « Dame de Rangoun » et les militaires à la faveur d’un début de démocratisation.

« Les États-Unis défendront la démocratie partout où elle est attaquée », a prévenu le locataire de la Maison-Blanche.

Réaction unanime

Durant sa campagne et depuis sa victoire, le démocrate a promis de marquer la rupture par rapport à son prédécesseur Donald Trump, qui a flirté avec de nombreux dirigeants autoritaires. Il a également annoncé qu’il organiserait un « sommet des démocraties » au cours de sa première année de mandat.

Selon Derek Mitchell, premier ambassadeur des États-Unis en Birmanie après l’ouverture, Washington n’a plus autant de moyens de pression qu’auparavant.

En raison de la « crise des Rohingya », « nous avons dû réagir contre ce qui ressemble à un génocide, à raison bien entendu, mais cela s’est fait au détriment des relations », explique-t-il à l’AFP.  

Aujourd’hui président du National Democratic Institute, il appelle à une coordination étroite entre les États-Unis et leurs alliés, pour faire respecter la victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi aux élections de 2020.

« Sa réputation d’icône mondiale de la démocratie est peut-être ternie aux yeux des Occidentaux. Mais si vous êtes attachés à la démocratie dans le monde, vous devez respecter le choix démocratique, et elle est clairement le choix des Birmans », plaide-t-il. « Il ne s’agit pas d’une personne, mais d’un processus ».

Une fois n’est pas coutume, la réaction a été unanime à Washington, le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, ayant des mots semblables à ceux du président démocrate.

Rôle de Pékin ?

Suzanne DiMaggio, du cercle de réflexion Carnegie Endowment for International Peace, estime que l’administration américaine doit utiliser ce soutien et résister à la tentation de sanctions immédiates – un outil dont le précédent gouvernement a abondamment usé, voire abusé.

« La Birmanie est un test inattendu pour l’administration Biden naissante, qui a mis l’accent sur les droits humains et la démocratie comme pierres angulaires de la politique étrangère américaine », dit-elle. « Envoyer rapidement un émissaire chevronné » sur place, « fort du rare soutien des deux partis du Congrès américain, serait une première mesure appropriée ».

Lorsque la Birmanie a entamé sa transition démocratique, les États-Unis, sous la houlette de la secrétaire d’État Hillary Clinton, qui s’était rendue dans ce pays lors d’une visite historique en 2011, ont su convaincre les réformistes au sein de la junte militaire avec des promesses de coopération économique et de levée des sanctions. Ils ont su se présenter comme une alternative, pour ces dirigeants nationalistes, à la dépendance de la Chine.

Aujourd’hui, Washington a moins à offrir au général Min Aung Hlaing, qui a mis fin à dix années de changement. D’autant que l’auteur du putsch est déjà sous sanctions financières américaines et interdit d’entrée aux États-Unis en raison de la répression contre les Rohingya, qualifiée de « nettoyage ethnique » par la diplomatie américaine.

« Que faire de plus ? », demande Murray Hiebert, du groupe de réflexion Center for Strategic and International Studies. « On peut sanctionner quelques sociétés militaires. Cela peut renforcer un peu la pression car elles sont impliquées dans tellement de secteurs de l’économie birmane », ajoute-t-il.

L’administration Biden peut coordonner son action avec le Japon et l’Inde, proches alliés qui s’entendent également bien avec la Birmanie.

Reste à voir la réaction de Pékin.

« Ce qui est ironique, c’est que je pense que la Chine avait de meilleures relations avec Aung San Suu Kyi qu’avec les militaires », dit Murray Hiebert.

Mais si les Occidentaux resserrent la vis, la nouvelle junte n’aura probablement pas d’autre choix que de se tourner vers la Chine – alors même que l’équipe Biden a aussi promis de « remporter » la compétition avec la superpuissance rivale.