Ce sera un « hiver de périls », a reconnu Joseph Robinette Biden Jr., 46président des États-Unis, après avoir prêté serment sur la terrasse du Capitole. Et pas qu’un peu, ose-t-on ajouter. Parmi ses 45 prédécesseurs, rares sont ceux qui ont hérité d’un pays aussi mal en point.

La pandémie a tué – jusqu’ici – autant d’Américains que la Seconde Guerre mondiale. Des millions d’emplois ont été perdus. Des centaines de milliers d’entreprises ont fermé leurs portes.

Joe Biden devra ni plus ni moins assurer le retour à la vie normale de ses concitoyens. Il devra remettre de l’ordre dans la campagne de vaccination et redresser la barre d’une économie pulvérisée par les mesures de confinement. Un défi titanesque. Et encore. Ça, ce sera la tâche la moins difficile de son mandat.

Le plus dur sera d’éviter l’implosion d’une Amérique plus divisée que jamais.

Joe Biden a préparé le terrain, dans son discours d’investiture, en lançant un vibrant appel à l’unité. « Car sans unité, il n’y a pas de paix, seulement de l’amertume et de la fureur. Pas de progrès, seulement une indignation épuisante. Pas de nation, seulement un état de chaos. »

Joe Biden a servi cette mise en garde à l’endroit même où une foule avait violemment manifesté sa colère, deux semaines plus tôt. Une foule convaincue qu’il avait « volé » la présidence à Donald Trump. Et qui était prête à tout – absolument tout – pour corriger cette injustice.

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Un partisan de Donald Trump à Palm Beach, en Floride, manifeste lors d’un rassemblement le jour de l’investiture de Joe Biden.

Leur héros n’a jamais cherché à les détromper. Pire, il les a encouragés dans leur délire. Mais les mensonges en série, les insultes grossières, les incitations à la révolte, tout cela est derrière nous. Enfin.

« La politique ne doit pas être un feu qui fait rage, détruisant tout sur son passage, a déclaré Joe Biden. Chaque désaccord n’a pas à être une cause de guerre totale. Et nous devons rejeter la culture dans laquelle les faits eux-mêmes sont manipulés, voire fabriqués. »

Ça semble être une évidence. Pourtant, des millions de téléspectateurs – aux États-Unis et ailleurs dans le monde – ont probablement accueilli ces paroles avec un immense soulagement. Elles signalent le retour de la décence à Washington. Une nouvelle ère qui s’ouvre en Amérique.

Enfin, c’est ce qu’on espère.

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« Nous ne sommes pas ennemis, mais amis. Nous ne devons pas être ennemis. Bien que la passion ait pu créer des tensions, elle ne doit pas rompre nos liens d’affection. »

Cela pourrait fort bien être tiré du discours de Joe Biden. C’est pourtant Abraham Lincoln qui a prononcé ces mots lors de son investiture, le 4 mars 1861, au pied d’un Capitole en construction.

Lincoln espérait apaiser les vives tensions qui déchiraient son peuple. Il semblait y croire, évoquant le meilleur des Américains, « la part d’ange » qui sommeillait en eux.

Six semaines plus tard, la guerre civile éclatait.

Un scénario aussi dramatique est fort improbable, bien sûr. Mais tout de même. Depuis les violences du 6 janvier, des observateurs américains dressent des parallèles avec d’autres pays ; certains n’hésitent pas à évoquer le spectre d’une guerre civile. La démocratie a été ébranlée à ce point.

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Alors que Joe Biden s’installe à la Maison-Blanche, de 35 à 40 millions d’Américains sont encore convaincus que sa victoire électorale est illégitime.

Comment pourra-t-il gouverner un pays dont la population ne s’entend pas sur des faits aussi fondamentaux que l’issue de l’élection présidentielle ? Un pays où les gens vivent dans deux univers parallèles ?

Les Américains persuadés d’avoir été trahis ne tourneront pas la page aussi facilement. Certains d’entre eux entreront en résistance. L’émeute du Capitole pourrait n’être qu’un avant-goût des violences qui risquent d’éclater un peu partout au pays.

Le trumpisme a peut-être rendu les États-Unis ingouvernables.

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Joe Biden fait le pari d’y arriver. « Je sais que parler d’unité peut sembler à certains un fantasme insensé de nos jours. Je sais que les forces qui nous divisent sont profondes et réelles. Mais je sais aussi qu’elles ne sont pas nouvelles. »

Comme Lincoln avant lui, Joe Biden a évoqué le meilleur du peuple américain. « À travers la guerre civile, la Grande Dépression, la guerre mondiale, le 11-Septembre, à travers les luttes, les sacrifices et les revers, la part d’ange en nous a toujours triomphé. »

Joe Biden a aussi rappelé qu’en signant la proclamation abolissant l’esclavage, en 1863, son illustre prédécesseur avait déclaré y avoir mis « toute [son] âme ».

Le 46président a promis d’en faire autant. « Toute mon âme est investie dans cette tâche : rassembler l’Amérique, unir notre peuple, unir notre nation. »

C’est la grâce qu’on souhaite aux Américains.