Le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, trahira-t-il Trump ?

(NEW YORK ) Mitch McConnell n’est pas le Brutus de Donald Trump. Contrairement au sénateur romain, le sénateur du Kentucky n’a jamais été l’ami du César de son pays et de son parti. Mais il pourrait bien le trahir et participer à son assassinat politique.

Un tel scénario peut sembler trop dramatique, trop shakespearien, mais il vient à l’esprit de Stephen Voss, politologue de l’Université du Kentucky, qui suit la carrière du chef de la majorité au Sénat depuis des années.

Pour décrire le rôle possible de l’élu septuagénaire dans le deuxième procès en destitution de Donald Trump, l’expert évoque même le « style de politique » pratiqué dans la série télévisée Game of Thrones, où les dirigeants connaissent souvent des fins violentes orchestrées par des ennemis sournois. « Ce n’est pas parce que vous permettez à quelqu’un de planter le couteau dans le dos d’un autre que vous voulez être celui qui tient le couteau. Parfois, vous créez une distance entre vous et l’assassin », a-t-il dit en entrevue.

Le professeur Voss tentait d’expliquer à son interlocuteur comment le Sénat américain pourrait finir par reconnaître Donald Trump coupable d’« incitation à l’insurrection » sans que Mitch McConnell lui-même ne vote en ce sens. Un tel verdict nécessiterait l’appui des 50 sénateurs du camp démocrate et de 17 sénateurs républicains. Il ouvrirait la voie à un autre vote, destiné celui-là à interdire au 45e président de briguer à nouveau un poste politique.

Tout cela fournirait sans doute un excellent spectacle au théâtre ou à la télévision. Mais n’est-il pas illusoire de penser que 17 sénateurs républicains seraient prêts à subir les foudres des partisans de Donald Trump en le condamnant ?

La réponse serait évidente si le Parti républicain ne risquait pas l’autodestruction en blanchissant Donald Trump et si Mitch McConnell n’avait pas lui-même fait savoir qu’il était heureux de la deuxième mise en accusation du président.

Une image ternie

Mercredi dernier, après le vote de la Chambre des représentants mettant en accusation Donald Trump pour son rôle dans l’assaut meurtrier du Capitole, Mitch McConnell a envoyé un autre message important. Dans une déclaration écrite, il a refusé d’écarter la possibilité de condamner le président à l’issue d’un procès qui aura lieu après son départ de la Maison-Blanche.

« Quand le chef de file d’un parti au Congrès annonce qu’il est encore indécis, il signale aux membres de son groupe qu’ils sont libres de prendre leurs propres décisions sans craindre d’être punis par la direction », a expliqué Stephen Voss.

De nombreux facteurs pèseront sur la décision de Mitch McConnell et de ses collègues républicains. L’image ternie du parti en est un. À la suite de l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump, plusieurs grandes sociétés, dont Walmart, AT&T et Amazon, ont annoncé leur décision de suspendre leurs contributions aux élus du Congrès qui ont obéi au président et voté contre la certification du résultat de l’élection présidentielle.

PHOTO DUSTIN CHAMBERS, ARCHIVES REUTERS

Rick Scott, sénateur de la Floride

Huit sénateurs républicains se retrouvent parmi ce groupe. L’un d’eux, Rick Scott (Floride), vient tout juste d’accéder à la présidence du comité électoral des républicains du Sénat. Une de ses plus importantes responsabilités sera d’amasser des fonds électoraux pour les candidats aux élections de mi-mandat de 2022. Bonne chance.

L’échéance électorale de 2022 alimentera également la réflexion de Mitch McConnell et compagnie. Le Parti républicain devra non seulement défendre des sièges au Sénat dans des États où Joe Biden a gagné en 2020, dont le Wisconsin et la Pennsylvanie, mais également se préparer à des primaires républicaines en Géorgie, au Colorado et en Arizona, entre autres, où des représentants extrémistes auraient l’intention de se présenter.

Figurent parmi ces extrémistes Marjorie Taylor Greene (Géorgie), sympathisante du mouvement QAnon, et Lauren Boebert (Colorado), militante proarmes qui est soupçonnée d’avoir collaboré avec les émeutiers du Capitole. « Aujourd’hui, c’est 1776 », a-t-elle notamment tweeté le matin de l’assaut en faisant référence à la date de l’indépendance des États-Unis.

Dilemme électoral

Voilà donc une partie du sombre tableau que contemple Mitch McConnell après une catastrophe qui en a caché une autre pour les républicains : la veille de l’assaut du Capitole, le sénateur du Kentucky a vu lui échapper la majorité au Sénat à l’occasion des élections sénatoriales de Géorgie. Le 20 janvier, il deviendra chef de la minorité. Il n’aura plus le dernier mot sur le programme législatif du Sénat ou la confirmation des juges.

« En matière de perspective électorale, McConnell est dans une situation très difficile », a commenté le politologue Stephen Voss. « La base de Trump est suffisamment importante pour que sa défection du Parti républicain lui soit fatale. D’un autre côté, Trump lui-même est devenu un tel handicap pour les candidats, tant sur le plan de la récolte de fonds électoraux que de la quête d’appuis chez les indépendants, que céder à sa base entraîne également des coûts importants. »

Dans un monde idéal, selon l’expert, Mitch McConnell souhaiterait que des sénateurs républicains plus modérés que la moyenne ou élus dans des États moins conservateurs que le sien se joignent aux démocrates pour condamner Donald Trump à l’issue de l’éventuel procès en destitution. Deux sénateurs républicains ont déjà réclamé la démission du président après l’assaut du Capitole – Pat Toomey (Pennsylvanie) et Lisa Murkowski (Alaska) –, et un autre a dit qu’il devrait y songer – Ben Sasse (Nebraska). Mitt Romney (Utah), Rob Portman (Ohio), Lamar Alexander (Tennessee), John Thune (Dakota du Sud) et Susan Collins (Maine) pourraient également avoir des raisons de vouloir condamner le président.

Mais on serait encore loin du nombre requis. D’où cette idée qu’un verdict de culpabilité ne pourrait devenir réalité sans le vote de Mitch McConnell et la pression qu’il peut exercer auprès de ses membres. « Si McConnell finit par voter contre Trump, il fait l’une de ces choses : ou bien il tente, coûte que coûte, de remettre la marque du Parti républicain à neuf afin qu’il cesse de perdre, ou bien il a conclu que les républicains bénéficient de l’interdiction faite à Trump de se présenter à la présidence en 2024 », a dit Stephen Voss.

Si cela arrive, Donald Trump ne pourra pas vraiment s’étonner et lancer une phrase semblable à celle de César à Brutus au moment de son assassinat : « Toi aussi, Mitch ? »