La cérémonie d’investiture qui se tiendra mercredi à Washington annonce le début d’une période mouvementée pour Donald Trump sur le plan judiciaire.

Le président sortant perdra alors l’immunité qu’il a souvent revendiquée tout au long de ses quatre années au pouvoir pour se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites.

L’un de ses avocats avait plaidé il y a quelques années, sans convaincre, que la justice ne pourrait pas s’en prendre à lui-même s’il commettait un meurtre tant qu’il demeurait en poste en raison de la portée de la protection conférée par sa fonction, mais la question ne sera bientôt plus d’actualité.

« Malgré ses fanfaronnades et sa démagogie, Trump ne peut plus se mettre au-dessus de la loi », soulignait il y a quelques jours dans le Washington Post William Eskridge, professeur de droit de l’Université Yale.

Le président sortant est « très exposé » sur le plan judiciaire, relève Richard Painter, ancien conseiller en éthique de la Maison-Blanche qui s’attend à ce que ses ennuis juridiques relèvent tant du niveau fédéral que des États.

Aditi Juneja, qui agit comme conseillère juridique au sein de l’organisation Protect Democracy, pense qu’il ne fait « aucun doute » que le président Trump a posé des gestes illégaux et anticonstitutionnels durant son mandat.

Des poursuites le visant peuvent favoriser la reddition de comptes, mais la priorité du pays, prévient-elle, doit être de trouver, à plus large échelle, les moyens de s’assurer que les dérapages observés durant son mandat ne se « répéteront pas à l’avenir ».

Des ennuis potentiels

L’attaque contre le Capitole

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Des partisans de Donald Trump ont pris d’assaut le Capitole, le 6 janvier dernier.

L’attaque contre le Capitole survenue le 6 janvier alors que les élus du Congrès étaient réunis pour certifier la victoire de Joe Biden fait l’objet d’une enquête du FBI qui pourrait mettre en cause le président, prévient M. Painter. « Comme dans le cas de Nixon avec le Watergate, la question ultime sera de savoir ce qu’il savait et à quel moment il l’a su », relève le juriste, qui estime possibles des accusations de sédition à la lumière des preuves disponibles. Le fait, dit-il, qu’une procédure en destitution a été engagée ne change rien puisque la Constitution précise qu’elle ne protège pas le président de poursuites criminelles éventuelles pour les faits visés.

L’ingérence dans l’élection

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Décompte des votes à Atlanta, en Géorgie, au lendemain de l’élection présidentielle du 3 novembre 2020

Donald Trump pourrait aussi se retrouver en difficulté en raison de l’appel du 3 janvier au secrétaire d’État de la Géorgie, Brad Raffensperger, pour obtenir l’invalidation de la victoire de Joe Biden dans l’État. Le président sortant, relève M. Painter, pourrait être mis en accusation pour avoir sollicité ou encouragé une fraude électorale après avoir souligné qu’il fallait « trouver » les 11 870 voix manquantes pour faire pencher la balance en sa faveur. Les autorités judiciaires de l’État ont déjà indiqué qu’elles se penchaient sur le sujet. Des accusations au niveau fédéral pourraient aussi survenir, puisque le scrutin était de portée nationale.

L’enquête russe

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Le procureur spécial Robert Mueller

Le président Trump a dénoncé à de nombreuses reprises les allégations de collusion avec le gouvernement russe qui ont marqué son arrivée en poste en 2016 comme une « chasse aux sorcières ». Après une longue enquête, le procureur spécial au dossier, Robert Mueller, s’est dit incapable de démontrer qu’il y avait eu collusion. Il a toutefois relevé plusieurs éléments susceptibles d’alimenter une accusation d’entrave à la justice visant le chef d’État tout en s’abstenant de recommander sa mise en accusation pour cause d’immunité. Le département de la Justice pourrait décider de revenir sur le sujet à son départ de la présidence.

Un paiement litigieux

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L’actrice pornographique Stormy Daniels

L’ex-avocat de Donald Trump, Michael Cohen, a été condamné à la prison pour avoir violé les lois de financement électoral. Il a reconnu notamment avoir fait, sans le déclarer adéquatement, un paiement de 130 000 $ durant la campagne présidentielle de 2016 à une vedette de l’industrie pornographique, Stormy Daniels, pour acheter son silence. Elle affirmait avoir couché avec le politicien et menaçait de le dire aux médias. Le président a été identifié sans être nommé dans la procédure comme un « individu » ayant comploté pour bénéficier du stratagème, mais n’a pas été mis en accusation à ce jour.

Des malversations potentielles

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Trump Tower, quartier général de la Trump Organization

Le procureur de Manhattan, Cyrus Vance, enquête sur plusieurs malversations financières potentielles au sein de la Trump Organization, qui pourrait inclure la falsification de dossiers et de la fraude fiscale. Il a mené bataille pour obtenir les déclarations d’impôts de l’organisation et celles de Donald Trump lui-même, obtenant gain de cause sur la légalité de la demande devant la Cour suprême. Le plus haut tribunal du pays doit revenir prochainement sur le dossier et pourrait, du même coup, donner l’approbation finale au transfert des documents.

Des femmes en colère

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La journaliste américaine E. Jean Carroll, qui affirme que Donald Trump l’a agressée sexuellement, poursuit le président sortant en diffamation pour avoir dit qu'elle avait inventé ses accusations.

Plusieurs femmes affirment avoir été agressées sexuellement par le passé par Donald Trump, qui écarte systématiquement ces allégations. Deux d’entre elles ont entrepris à son encontre des poursuites en diffamation après qu’il a publiquement rejeté leur version des faits. D’autres poursuites pourraient suivre.

Sauvé par le pardon ?

Donald Trump a évoqué à quelques occasions la possibilité de s’accorder lui-même un pardon et aurait intensifié sa réflexion à ce sujet à la suite des incidents violents survenus au Capitole la semaine dernière. Russell Wheeler, un constitutionnaliste de la Brookings Institution, relève qu’il y a un large consensus sur le fait qu’un tel pardon ne serait pas valide. « Mais ça n’a jamais été mis à l’épreuve devant les tribunaux », prévient-il en rappelant que les pardons ne s’appliquent qu’aux crimes fédéraux et n’empêchent pas les poursuites au niveau des États. Le département de la Justice des États-Unis avait exclu le scénario d’un auto-pardon à l’époque où l’ex-président Richard Nixon a quitté le pouvoir en relevant que « personne ne peut être un juge dans sa propre cause ». Richard Painter note que le président sortant pourrait recevoir un pardon valable en cédant sa place au vice-président Mike Pence avant la fin de son mandat. Joe Biden pourrait aussi lui en accorder un, mais rien n’indique qu’il est susceptible de procéder en ce sens. Le président désigné insiste par ailleurs sur le fait qu’il ne s’immiscera pas dans les décisions du département de la Justice durant son mandat, laissant toute latitude au procureur général qu’il a désigné, Merrick Garland, y compris sur les délits imputés à tort ou à raison au président sortant.