(Tokyo) L’explosion de violence survenue mercredi à Washington a été accueillie avec indignation à travers le monde, mais ceux qui dénoncent la tendance qu’auraient les États-Unis de reprocher aux autres leur adhérence imparfaite aux idéaux démocratiques n’ont pas manqué de souligner l’ironie de la situation.

Les gaz lacrymogènes et les balles tirés à l’intérieur du Capitole, un édifice connu mondialement et qui se trouve au cœur même de la démocratie américaine, sont habituellement associés au renversement de dictateurs détestés. Le printemps arabe en est un bel exemple.

Cette fois, il s’agissait d’Américains qui tentaient de bloquer la passation pacifique des pouvoirs au président désigné Joe Biden après une élection démocratique organisée dans un pays qui, aux yeux de plusieurs, est un modèle de gouvernance démocratique.

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La une de nombreux journaux du monde est consacrée à l'intrusion violente des partisans de Donald Trump dans le Capitole américain, dans une tentative d'empêcher la ratification de l'élection présidentielle du 3 novembre, remportée par Joe Biden.

« Nous devons dénoncer la situation pour ce qu’elle est : une attaque délibérée contre la démocratie par un président au pouvoir et ses partisans, pour essayer de renverser une élection juste et libre ! La planète surveille ! », a lancé sur Twitter le ministre irlandais de la Défense et des Affaires étrangères, Simon Coveney.

D’autres observateurs internationaux ont plutôt semblé se frotter les mains de satisfaction face à cette explosion de violence qui survient à quelques jours seulement de la fin officielle d’une présidence qui a divisé la planète presque autant qu’elle a divisé les États-Unis.

La Chine, qui a vécu de multiples frictions commerciales, militaires et politiques avec l’administration Trump, ne s’est pas gênée pour tirer à boulets rouges sur M. Trump et ses partisans, en rappelant aussi bien l’incapacité du président à contrôler la pandémie de coronavirus que son silence face aux émeutiers.

La Chine communiste accuse depuis longtemps les États-Unis d’hypocrisie dans sa promotion de la démocratie et des droits de la personne à l’étranger.

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La une de nombreux journaux du monde est consacrée à l'intrusion violente des partisans de Donald Trump dans le Capitole américain, dans une tentative d'empêcher la ratification de l'élection présidentielle du 3 novembre, remportée par Joe Biden.

La Ligue des jeunesses communistes a mis en ligne un montage photographique de la violence au Capitole avec des commentaires qui semblaient se moquer de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants qui a salué les manifestations antigouvernementales parfois violentes à Hong Kong.

« On dirait que les États-Unis ne sont pas aussi sécuritaires que la Chine. Je pense que Trump est individu imbu de lui-même et égoïste », a dit le conseiller financier Yang Ming.

Certains qui ont observé les évènements depuis l’étranger ont pointé M. Trump du doigt, et les reproches qui lui ont été adressés semblaient parfois alimentés par la relation souvent belliqueuse que le président américain a développée avec plusieurs pays de la planète. C’était surtout le cas de ceux qui ont fait les frais des sanctions et de la puissance militaire des États-Unis.

Iran, un autre pays dont les États-Unis dénoncent le manque de respect de la démocratie et des droits de la personne, s’est emparé de cette insurrection comme d’une preuve de l’hypocrisie américaine.

L’agence semi-officielle Fars a qualifié les États-Unis de « démocratie fragmentée », tandis que les comptes Twitter officiels du régime gloussaient de plaisir en faisant circuler des photos de la violence accompagnées des mots-clics #ChutedesÉtatsUnis.

La violence qui a éclaté au Capitole ternit l’image d’un pays qui se présente comme un phare de la démocratie pour ces pays qui, parfois très récemment, ont renoncé à des formes de gouvernement plus autoritaires.

« La beauté de la démocratie ? », a demandé sur Twitter Bashir Ahmad, un lieutenant du président du Nigéria. Son commentaire était accompagné d’un émoji haussant les épaules. Le Nigéria a été victime de plusieurs coups d’État au fil du temps. Son président actuel, Muhammadu Buhari, s’il a récemment été élu démocratiquement, a tout d’abord pris le pouvoir à la pointe du fusil.

Certaines législatures asiatiques, celles de Taïwan et de la Corée du Sud par exemple, ont parfois été le théâtre d’affrontements musclés et de prises de bec virulentes, mais les démocraties de la région sont habituellement des copies ternes de ce qui se fait aux États-Unis et en Europe.

« C’est choquant. J’espère que ce sera l’occasion pour les Américains de réviser leur démocratie, a dit Na Hyun-pil, de l’OSBL sud-coréen Korean House for International Solidarity. Trump est entièrement responsable de cet incident. Après son règne de quatre ans, il sera difficile pour les Américains de dire aux autres pays que leur pays est un bon exemple de démocratie. »

Ce n’est pas d’hier que la politique américaine est minée par les théories du complot et l’insatisfaction, a rappelé Wesley Widmaier, qui enseigne les relations internationales à l’Université nationale d’Australie.

« Ce qui différencie les quatre dernières années est que ces idées ont été reprises par le président des États-Unis, a-t-il dit. On peut tracer un lien direct entre la rhétorique incendiaire et les mensonges de Trump au sujet de l’élection de 2020 et le siège du Capitole des États-Unis. »

Plusieurs pays, amis ou ennemis des États-Unis, ont mis leurs ressortissants en garde contre des déplacements en sol américain.

Les Australiens ont ainsi été invités à éviter de se rendre aux États-Unis dans la foulée de ce que le premier ministre Scott Morrison a qualifié de « scènes plutôt dérangeantes ».

Malcom Turnbull, le prédécesseur de M. Morrison qui était en poste quand M. Trump a été élu, n’y est pas allé par quatre chemins, affirmant à la télévision australienne que le président américain est un voyou égoïste qui ne se préoccupe que de son propre pouvoir.

« J’ai été estomaqué, a-t-il dit. Donald Trump a fait plus de dégâts aux États-Unis en quatre ans, aussi bien à l’interne, sur la scène domestique, qu’au chapitre de sa position sur la scène mondiale, que tous ses adversaires auraient jamais pu l’imaginer. »

D’autres alliés ont aussi été choqués par ce qu’ils ont décrit comme une attaque contre la démocratie américaine, même si certains ont dit croire que les institutions démocratiques des États-Unis survivront à la tourmente.

« Scènes disgracieuses au Congrès des États-Unis, a lancé sur Twitter le premier ministre britannique Boris Johnson. Les États-Unis défendent la démocratie à travers le monde et une passation pacifique des pouvoirs est maintenant cruciale. »

« La démocratie — le droit du peuple de voter, de se faire entendre, et de voir cette décision respectée pacifiquement — ne devrait jamais être démolie par une foule en colère », a indiqué par voie de communiqué Jacinda Ahern, la première ministre de la Nouvelle-Zélande.

Le premier ministre de la plus grande démocratie de la planète, l’Indien Narendra Moodi, a dit sur Twitter : « Inquiet des nouvelles d’émeute et de violence à Washington. Le transfert ordonné et pacifique du pouvoir doit se poursuivre. On ne peut pas tolérer que le processus démocratique soit miné par des manifestations illégales. »

Le Venezuela, qui est sous le coup de sanctions américaines, a estimé que les évènements à Washington démontrent que les États-Unis « souffrent que ce que leur politique d’agression a suscité dans d’autres pays ».

« C’est une insurrection. Rien de moins. À Washington », a résumé sur Twitter l’ancien premier ministre suédois Carl Bildt.