Pourquoi Moscou voulait-il l’élection de Donald Trump, en 2016 ?

Pour ça. Exactement pour ça : pour tourner en ridicule la démocratie américaine et y semer le chaos. Pour rendre cette prétendue et prétentieuse « cité lumineuse sur une colline » plus inopérante, plus grotesque que jamais.

Pour la mettre à genoux non pas militairement, mais moralement.

Pour qu’on se demande sérieusement si le président devait être destitué d’urgence pour complicité de tentative d’insurrection ou pour cause de folie. Il n’est pourtant ni plus malhonnête qu’à ses premiers jours, quand il congédiait le directeur du FBI, ni plus cinglé. C’est exactement le même homme : même quand il a gagné, il a dit qu’il y avait eu fraude.

Donald Trump n’était pas élu qu’il était inapte. Voilà ce qui réjouit le Kremlin : une fulgurante incompétence doublée d’un tempérament agressif d’incendiaire.

C’est pourquoi, si les États-Unis se sont couverts de honte devant le monde entier mercredi, ça n’a rien de drôle pour ce qu’on appelle le « monde libre ». Tout affaiblissement de l’influence américaine risque de se faire au profit des dictatures qui lui font concurrence dans le monde.

Cette journée noire américaine, qui en annonce de plus noires encore, a fait les délices de Vladimir Poutine et de Xi Jinping.

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Bien avant que la foule n’envahisse le Capitole, la démocratie américaine se reniait elle-même. Des élus, et pas des moindres, discutaient de la possibilité de ne pas reconnaître le résultat de l’élection présidentielle. La plupart des représentants républicains soutenaient ce projet. Des sénateurs, dont le crapuleux Ted Cruz, expliquaient que la chose est légitime : faisons une petite commission d’enquête rapido, tellement de gens pensent qu’il y a eu fraude !

PHOTO JACQUELYN MARTIN, ASSOCIATED PRESS

Donald Trump s’est adressé, mercredi midi, à une foule de plusieurs milliers de personnes rassemblées sur la pelouse du National Mall, entre le monument de Washington et la Maison-Blanche. Au terme de son discours, durant lequel il refusait de concéder la victoire électorale, il a invité ses partisans à marcher vers le Capitole pour s’opposer au Congrès américain.

Toutes les cours ont rejeté presque sans aucun débat les allégations de fraude électorale, pour cause d’absence de preuve. Plus de 90 juges, dont de nombreux nommés par Donald Trump. Malgré tout, ces gens élus avec exactement le même système électoral disent que… le système a peut-être vraiment volé l’élection à Donald Trump.

Même le leader républicain en sursis du Sénat, le très puissant Mitch McConnell, qui mange dans la main de Trump depuis quatre ans, a dit que cette manœuvre risquait d’endommager la république « pour toujours ».

Ce spectacle absurde avait donc lieu : des politiciens issus d’un système le déclarent malhonnête à la face du monde. Que demander de mieux pour un pays ennemi ?

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Pendant ce temps, Trump s’adressait à la foule, disait qu’il ne concéderait jamais la défaite, l’incitait à se rendre vers le Capitole. Les manifestants ont obéi.

Et là, plus facilement que s’ils avaient voulu entrer dans un bus sans payer, des dizaines, des centaines d’entre eux ont tout bonnement traversé les barrières de sécurité où les deux chambres étaient réunies. On les a vus se promener avec leurs drapeaux de Trump, ou mieux encore des Confédérés. L’un s’est fait photographier sur le siège du président de la Chambre de Nancy Pelosi.

Bref, une foule totalement désorganisée, apparemment, a réussi à envahir l’enceinte démocratique sacrée du pays le plus sécurisé au monde. Juste comme ça. Sans même tirer des coups de feu sur la police.

Une femme est morte dans l’enceinte. On se demande comment il se fait qu’il n’y ait pas eu plus de morts. Je n’imagine pas les coups de feu de la police si une manif Black Lives Matter avait marché dans l’enceinte. Comment expliquer cette mollesse policière, pour un évènement prévu ? Bah, des trumpistes, amis de l’ordre…

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Donald Trump, bien sûr, est entièrement responsable de cette insurrection tragi-ridicule, qui restera dans les mémoires. Pas seulement parce qu’il a dit aux manifestants de marcher sur le Capitole. Surtout par son attaque du fondement même des élections, sa rage, ses mensonges, ses accusations de « trahison » envers tout le monde.

Parce qu’en fait, le peuple aurait raison de se rebeller si une fraude électorale avait mis Joe Biden au pouvoir. Que peut-on imaginer de plus grave, de plus « antiaméricain » ? Les États-Unis mêmes sont fondés sur le droit de se rebeller contre la tyrannie. C’est à un devoir patriotique que Donald Trump convie ses supporteurs, pas à un coup d’État militaire. « Le peuple n’est pas tenu d’obéir aux usurpateurs de la volonté populaire », ce n’est pas de Trump, c’est de John Locke !

Depuis deux mois, Trump chauffe à bloc sa base. Il attaque sauvagement des fonctionnaires, des élus, généralement républicains eux-mêmes, simplement parce qu’ils ont… compté des votes.

Des responsables du vote sont maintenant sous surveillance policière permanente, reçoivent des menaces.

Mais tout ça ne serait pas possible, ou, disons, serait bien moins grave, si plusieurs élus républicains n’avaient pas embarqué dans sa théorie du complot de fraude électorale. Certains l’ont laissé faire, sans se prononcer, en disant : on verra ce que les juges diront… sachant bien quel serait le résultat. D’autres ont carrément soutenu ses affirmations.

Ce sont les mêmes qui ont dû s’enfermer dans leur bureau, tremblants de peur, et qu’on a évacués comme si c’était un autre 11-Septembre.

« Ce qui s’est passé aujourd’hui, ça n’est pas nous. » Ils répétaient tous ça.

Mais oui, c’est aussi ça. C’est tout à fait ça, et de plus en plus ça, les États-Unis. Ça vient du sommet de l’État. Et pour garder le pouvoir, ils l’ont laissé faire, voté contre sa destitution quand il était temps.

Ce ne sont pas les hurluberlus complotistes, le problème, c’est ce qui leur donne de l’oxygène. C’est le saboteur en chef. Et tous ses complices, qui viennent maintenant dire leur stupéfaction, brailler sur la démocratie.

Ils l’ont créé. Ils boiront son poison jusqu’à la lie.