Le président défait a demandé au secrétaire d’État de la Géorgie de « trouver » des bulletins de vote pour la présidentielle à son nom, au cours d’un appel déconcertant diffusé dimanche par le Washington Post

(NEW YORK ) L’appel a été fait à 14 h 41 samedi. C’était la 18e fois que la Maison-Blanche entrait en contact avec le bureau du secrétaire d’État de la Géorgie depuis l’élection présidentielle du 3 novembre, il y a deux mois. Mais c’était la première fois que Donald Trump parlait directement à Brad Raffensperger.

Au cours de l’heure qui a suivi, le président des États-Unis a employé toutes les tactiques imaginables – la cajolerie, la fabulation et la menace, entre autres – pour convaincre le responsable des élections en Géorgie de changer les résultats du scrutin présidentiel dans son État, remporté par Joe Biden par 11 779 voix.

« Les gens de la Géorgie sont en colère, les gens du pays sont en colère. Et il n’y a rien de mal à dire que vous avez recalculé », a déclaré Donald Trump lors d’une conversation téléphonique dont le Washington Post a obtenu et diffusé un enregistrement dimanche.

Brad Raffensperger, élu à son poste sous la bannière républicaine, a repoussé les demandes du chef de la Maison-Blanche d’une voix ferme, tout en restant calme et poli.

« En bien, monsieur le Président, le défi que vous avez est [le suivant] : les données que vous avez sont fausses », a-t-il déclaré en tentant de démonter une par une les théories du complot sur lesquelles le président appuyait ses dires.

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Brad Raffensperger, secrétaire d’État de la Géorgie

L’enregistrement a permis au public d’entendre un homme qui semble incapable de concevoir l’idée même d’une défaite dans un État qui a longtemps été un bastion conservateur. Un homme qui s’exprime parfois de façon incohérente.

Écoutez, tout ce que je veux faire est ceci. Je veux tout simplement trouver 11 780 voix, ce qui est une voix de plus que ce que nous avons. Parce que nous avons gagné l’État.

Donald Trump, président des États-Unis, lors d’une conversation téléphonique avec le secrétaire d’État de la Géorgie

« J’ai besoin de 11 000 voix. Laissez-moi une chance », a ajouté M. Trump ailleurs dans la conversation.

« Il est impossible que j’aie perdu la Géorgie », a-t-il également répété à plusieurs reprises. « Nous avons gagné par des centaines de milliers de voix. »

Pire que le Watergate ?

L’appel de Donald Trump à Brad Raffensperger représente vraisemblablement le point culminant d’une campagne sans précédent pour renverser les résultats d’une élection présidentielle gagnée de façon plutôt convaincante par Joe Biden. Tout en donnant le feu vert à de multiples poursuites judiciaires dans les États-clés du scrutin du 3 novembre, le président avait déjà exercé des pressions auprès de responsables républicains du Michigan, de la Pennsylvanie et de la Géorgie, entre autres.

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Brian Kemp, gouverneur de la Géorgie

Avant Brad Raffensperger, le gouverneur de la Géorgie Brian Kemp avait reçu un appel jugé inconvenant de Donald Trump.

Mais l’appel du président au secrétaire d’État de la Géorgie est plus qu’inconvenant. Il est peut-être criminel. Une loi de la Géorgie considère en effet comme un crime le fait « de solliciter, de demander, de commander, de harceler ou de tenter de toute autre manière d’utiliser une autre personne pour se livrer à une fraude électorale ».

Donald Trump a peut-être commis un tel crime en demandant à Brad Raffensperger de « trouver » des suffrages illégaux pour lui permettre de vaincre Joe Biden. Il s’est peut-être également livré à de l’extorsion en proférant de vagues menaces à l’endroit du secrétaire d’État et de son conseiller juridique.

Le Post venait à peine de diffuser l’enregistrement de l’appel de Donald Trump que les comparaisons avec le scandale du Watergate se sont mises à fuser de toutes parts.

« Ce n’est pas du déjà-vu. C’est quelque chose de bien pire que ce qui s’est passé dans le Watergate », a déclaré à CNN l’ancien journaliste du Washington Post Carl Bernstein, dont les reportages avec Bob Woodward sur le scandale politique des années 1970 ont contribué à la démission du président Richard Nixon. « Nous avons un président des États-Unis criminel en Donald Trump et un président des États-Unis subversif en même temps en cette seule personne. »

Un moment charnière

La diffusion de l’enregistrement de l’appel entre Donald Trump et Brad Raffensperger intervient à un moment charnière de la vie politique américaine. Mercredi, le Congrès doit certifier la victoire de Joe Biden. Des parlementaires républicains ont annoncé leur intention de s’opposer à la certification des grands électeurs de certains États-clés dans l’espoir futile de renverser le résultat de l’élection présidentielle.

Mais avant, la Géorgie tiendra mardi le deuxième tour des élections sénatoriales de l’État, qui décidera du parti qui détiendra la majorité au Sénat américain pendant au moins les deux premières années de la présidence de Joe Biden.

Lors de son entretien téléphonique avec le secrétaire d’État de la Géorgie, Donald Trump a fait allusion à ces élections. Il a prié son interlocuteur d’obtempérer à sa demande avant la journée de mardi, laissant entendre que la victoire des candidats républicains, David Perdue et Kelly Loeffler, en dépendait.

« Vous avez une importante élection qui approche et à cause de ce que vous avez fait au président […], beaucoup de gens ne vont pas voter, et beaucoup de républicains vont voter négativement, parce qu’ils détestent ce que vous avez fait au président », a déclaré Donald Trump. « Et vous seriez respecté, vraiment respecté, si cela peut être réglé avant l’élection. »

Donald Trump doit participer lundi soir à un rassemblement dans le nord-ouest de la Géorgie. De passage dans cet État dimanche, la vice-présidente désignée Kamala Harris a déclaré que l’appel téléphonique du président était « la voix du désespoir ».

« Et c’était un abus de pouvoir flagrant et téméraire de la part du président des États-Unis », a-t-elle ajouté.

Selon le New York Times, Brad Raffensperger n’avait pas l’intention de refiler à un journal l’enregistrement de son appel avec Donald Trump, à moins que ce dernier ne se mette à mentir sur l’entretien en question. Le président semble l’avoir fait dimanche matin dans un gazouillis, accusant Raffensperger d’avoir été incapable de répondre à des questions portant sur des fraudes présumées, dont la « destruction de bulletins de vote, des ‘‘électeurs” de l’extérieur de l’État, des électeurs décédés et plus ».

« Respectueusement, président Trump : ce que vous dites n’est pas vrai. La vérité va sortir », a tweeté Brad Raffensperger en réponse. Quelques heures plus tard, le Washington Post diffusait l’enregistrement de son appel avec le président.