(NEW YORK) Avant d’être élu procureur général du Missouri en 2016 et sénateur du même État en 2018, Josh Hawley a fréquenté deux des plus prestigieuses universités américaines – Stanford et Yale –, travaillé comme assistant auprès du président de la Cour suprême des États-Unis John Roberts et enseigné le droit constitutionnel à l’Université du Missouri. Bref, ce jeune politicien de 41 ans ne devrait pas être aussi ignorant ou irrespectueux de la loi et de la Constitution que Donald Trump.

La même chose pourrait être dite au sujet de Ted Cruz. Diplômé de deux autres fleurons de l’enseignement américain – Princeton et Harvard –, le sénateur du Texas a plaidé de nombreuses causes devant la Cour suprême des États-Unis en tant que solliciteur général de son État et enseigné le droit à l’Université du Texas à Austin. Pour autant, à certains égards, ces deux hommes sont peut-être pires que Donald Trump.

Malgré leur connaissance approfondie de la loi et de la Constitution, ils semblent prêts à miner ou à subvertir les valeurs démocratiques de leur pays afin d’assouvir leurs ambitions présidentielles.

Mercredi, ils feront partie d’une dizaine de sénateurs républicains qui s’opposeront, avec une centaine de leurs collègues de la Chambre des représentants, à la certification du résultat de l’élection présidentielle.

Ils ne seront pas les seuls « présidentiables » à tenter le diable afin de rester dans les bonnes grâces de Donald Trump et de ses partisans. Samedi soir, Mike Pence a fait savoir qu’il appuyait la contestation des républicains du Congrès. Le vice-président « partage les préoccupations de millions d’Américains concernant la fraude électorale et les irrégularités lors des dernières élections », a déclaré son chef de cabinet.

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Ted Cruz, sénateur républicain du Texas

À l’instar de Josh Hawley et de Ted Cruz, Mike Pence a fait le choix de contribuer à la dérive antidémocratique de son parti pour se ménager un avenir viable en politique.

Allégations infondées

Mercredi dernier, Josh Hawley est devenu le premier sénateur à annoncer qu’il appuierait, le 6 janvier, l’objection de représentants républicains à la certification des grands électeurs d’un ou de plusieurs États-clés. Selon la loi de 1887 sur le décompte des grands électeurs, une telle manœuvre signifie que le Sénat et la Chambre devront tenir séparément un débat de deux heures sur chaque objection, suivi d’un vote.

Les deux chambres doivent s’accorder pour rejeter les grands électeurs contestés. Compte tenu de la majorité démocrate à la Chambre, la contestation des républicains est vouée à l’échec. Mais le sénateur Hawley ne se formalise pas de ce détail.

« Au minimum, le Congrès devrait enquêter sur les allégations de fraude électorale et adopter des mesures pour garantir l’intégrité de nos élections. Mais jusqu’à présent, le Congrès n’a pas agi », a-t-il déclaré en annonçant sa décision de s’opposer à la certification des grands électeurs.

Pour ne pas être en reste, le sénateur Cruz a menacé samedi de s’opposer à cette certification dans une lettre cosignée par 10 autres sénateurs républicains. Il s’est dit prêt à renoncer à sa menace à une condition : le Congrès doit reporter de 10 jours la certification des grands électeurs et créer une commission pour enquêter sur « les allégations de fraude et d’irrégularités dans l’élection de 2020 ».

De même que Josh Hawley, Mike Pence et quantité d’autres élus républicains, Ted Cruz voudrait faire croire que ces allégations n’ont pas déjà été rejetées. Or, dans les 50 États américains, les responsables des élections, démocrates ou républicains, ont nié toute fraude ayant pu changer l’issue du scrutin présidentiel. L’ancien procureur général des États-Unis William Barr est arrivé à la même conclusion, tout comme des dizaines de juges, dont certains ont été nommés par Donald Trump.

Au lieu de mentionner ces faits, Ted Cruz rappelle dans sa lettre que 67 % des républicains estiment que l’élection présidentielle a été « truquée ».

Un « stratagème odieux »

Il entre dans la stratégie des Hawley, Cruz et Pence une part de cynisme et d’amoralité qui répugne à certains de leurs collègues républicains. Le sénateur de l’Utah Mitt Romney fait partie de ce groupe. L’ancien candidat présidentiel n’a pas caché son indignation samedi.

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Mitt Romney, sénateur républicain de l’Utah

Le stratagème odieux visant à rejeter les grands électeurs sert peut-être les ambitions politiques de certains, mais il menace dangereusement notre république démocratique.

Mitt Romney, sénateur républicain de l’Utah, dans un communiqué publié après la diffusion de la lettre du sénateur Cruz

Et de conclure : « Je n’aurais jamais pu imaginer voir ces choses dans la plus grande démocratie du monde. L’ambition a-t-elle tant éclipsé les principes ? »

Âgé de 73 ans, Mitt Romney n’a probablement pas l’intention de briguer pour la troisième fois l’investiture républicaine. Mais au moins l’un de ses collègues présidentiables veut proposer aux électeurs républicains une autre voie que celle qui mène à l’autoritarisme. Il s’agit du sénateur du Nebraska Ben Sasse.

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Ben Sasse, sénateur républicain du Nebraska

Soyons clairs sur ce qui se passe ici : nous avons un groupe de politiciens ambitieux qui pensent qu’il y a un moyen rapide d’exploiter la base populiste du président sans faire de réels dégâts à long terme.

Ben Sasse, sénateur républicain du Nebraska, dans un communiqué samedi

« Mais ils ont tort – et cette question dépasse les ambitions personnelles de chacun. Les adultes ne pointent pas une arme chargée au cœur d’un gouvernement autonome légitime. »

Il serait quasiment réconfortant de penser que les Hawley, Cruz et Pence agissent comme ils le font seulement pour mobiliser la base républicaine et ménager les susceptibilités de Donald Trump. Mais leur manœuvre actuelle soulève des questions troublantes. Ces politiciens agiraient-ils autrement s’ils avaient vraiment la chance de renverser les résultats d’une élection présidentielle ? Leurs partisans ne s’attendraient-ils pas à ce qu’ils adoptent la même approche après une élection serrée en 2024 ou en 2028 ?

Étant moins brouillons et erratiques que Donald Trump, ils pourraient bien réussir là où ce dernier semble avoir échoué.