(New York) À peine remise des controverses entourant l’élection présidentielle du 3 novembre, la Géorgie retournera aux urnes le 5 janvier pour participer au second tour des élections sénatoriales de l’État. L’intérêt de ces scrutins dépasse largement les frontières du Peach State. Car s’y jouera, dans une large mesure, l’avenir de la présidence de Joe Biden. Explications et autres considérations.

L’enjeu

Dans l’attente du verdict de la Géorgie, le Sénat des États-Unis, une des deux chambres du Congrès américain, compte 50 sièges républicains et 48 sièges contrôlés par les démocrates (deux de ces sièges sont occupés par des indépendants qui votent avec les démocrates). Si les républicains gagnent au moins une des élections sénatoriales de la Géorgie, ils demeureront majoritaires pendant au moins les deux premières années de la présidence de Joe Biden. En revanche, si les démocrates remportent les deux élections, ils deviendront majoritaires grâce au vote décisif dont disposera la vice-présidente Kamala Harris en tant que présidente du Sénat. Ils seront ainsi en mesure de dicter le programme législatif de la Chambre haute et de confirmer plus facilement les membres de l’administration Biden et les juges fédéraux.

La loi

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Kelly Loeffler, sénatrice républicaine sortante de la Géorgie

Mais pourquoi donc la Géorgie tient-elle ce second tour mettant en jeu non pas un, mais deux sièges du Sénat américain ? La loi de l’État l’exige : quand aucun des candidats n’obtient au moins 50 % des voix plus une, un second tour doit opposer les deux concurrents ayant reçu le plus de suffrages. C’est ce qui est arrivé le 3 novembre dernier lors des deux élections sénatoriales de la Géorgie. Et pourquoi deux élections sénatoriales plutôt qu’une seule, comme c’est normalement le cas ? L’une de ces élections intervient au terme du premier mandat du sénateur républicain David Perdue. L’autre survient un an après la retraite du sénateur républicain Johnny Isakson pour des raisons de santé et son remplacement par Kelly Loeffler. Il s’agit donc d’une élection partielle.

Le « marxiste »

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Raphael Warnock, candidat démocrate aux élections sénatoriales

Des deux candidats démocrates aux élections sénatoriales de la Géorgie, Raphael Warnock est celui qui retient le plus l’attention. Son parcours n’est pas banal. Âgé de 51 ans, cet Afro-Américain a suivi les traces de Martin Luther King Jr., en fréquentant d’abord le Collège Morehouse avant de devenir, en 2005, le pasteur de l’église baptiste Ebenezer à Atlanta. Il affronte la sénatrice républicaine Kelly Loeffler, qui utilise des extraits de ses sermons pour le dépeindre comme un « marxiste », un « socialiste » et « le politicien le plus radical et le plus dangereux d’Amérique ». Son programme est pourtant modéré. Mais, comme MLK, il a dénoncé du haut de la chaire de l’église Ebenezer les injustices commises par les États-Unis et ses alliés, dont Israël. « La vie des Palestiniens compte », a-t-il déjà proclamé.

L’« escroc »

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David Perdue, sénateur républicain sortant de la Géorgie

Les républicains n’épargnent pas Jon Ossoff, l’autre candidat démocrate, mais il est évident que ce jeune producteur de documentaires est moins facile à caricaturer que Raphael Warnock. Cela dit, Ossoff, lui, ne fait pas de quartier. Lors d’un débat télévisé en octobre dernier, il a qualifié d’« escroc » son adversaire, le sénateur républicain David Perdue, l’accusant notamment de délit d’initié. Le département de la Justice a mené une enquête sur Perdue pour déterminer s’il avait utilisé des informations confidentielles sur la pandémie de COVID-19 pour guider ses nombreuses transactions boursières. Il n’a pas été inculpé. Mais il a refusé de participer à tout autre débat contre Ossoff. L’accusation de délit d’initié, faut-il préciser, a également été formulée à l’encontre de la sénatrice Loeffler, qui n’a pas non plus été inculpée.

Les sondages

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Jon Ossoff, candidat démocrate aux élections sénatoriales de la Géorgie

Après l’élection présidentielle du 3 novembre, les sondeurs se font plutôt rares en Géorgie. Certains d’entre eux tentent encore de comprendre pourquoi ils ont sous-estimé l’appui de Donald Trump et de ses alliés dans plusieurs États importants, dont la Floride et le Texas. D’autres tentent néanmoins de déterminer comment les électeurs du Peach State voteront à l’occasion des élections sénatoriales du 5 janvier. Si l’on se fie à la moyenne des sondages du site FiveThirtyEight, le démocrate Raphael Warnock récolte 49,2 % des intentions de vote contre 47,4 % pour la républicaine Kelly Loeffler. Dans l’autre course, le démocrate Jon Ossoff récolte 48,5 % des intentions de vote contre 47,6 % pour le républicain David Purdue. Autrement dit, les élections sénatoriales de Géorgie se joueront dans un mouchoir de poche.

La participation

À une semaine des élections sénatoriales de Géorgie, un peu plus de 2,3 millions d’électeurs avaient déjà voté par anticipation, par courrier ou en personne. Au cours d’une période comparable avant l’élection présidentielle du 3 novembre, environ 3 millions d’électeurs de l’État s’étaient prévalus de leur droit de vote sur un total éventuel de 5 millions. Personne ne s’attend à ce que cette participation record en Géorgie soit égalée ou dépassée le 5 janvier. Mais Bernard Fraga, politologue de l’Université Emory, affirme que le nombre d’électeurs pourrait atteindre 4 millions, ce qui représenterait un record pour un second tour électoral en Géorgie. Selon lui, les démocrates devraient de nouveau être plus nombreux que les républicains à voter par courrier, mode de scrutin décrié par Donald Trump.

L’argent

À eux seuls, les deux candidats démocrates aux élections sénatoriales de Géorgie auront amassé plus de 100 millions de dollars chacun pour leur campagne. Jon Ossoff a fracassé un record en devenant le candidat sénatorial ayant récolté le plus d’argent, soit 106,7 millions, contre 103,3 millions pour Raphael Warnock. Ces sommes éclipsent les récoltes de leurs adversaires républicains, David Perdue et Kelly Loeffler. Ceux-ci ont reçu respectivement 68 et 64 millions de dollars depuis octobre. Mais les candidats républicains comptent aussi sur l’appui de comités d’action politique financés par de riches supporteurs, dont les barons de Wall Street Stephen Schwarzman et Kenneth Griffin, qui ont donné des dizaines de millions de dollars. Résultat : les électeurs de Géorgie sont bombardés de pubs politiques ces jours-ci.

Trump, béquille ou boulet ?

Lundi soir, à la veille des élections sénatoriales de la Géorgie, Donald Trump participera à l’un de ses derniers rassemblements en tant que président, sinon le dernier, dans une circonscription qui a élu en novembre dernier une sympathisante du mouvement complotiste QAnon à la Chambre des représentants.

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Donald Trump lors d’un rassemblement en Géorgie, le 5 décembre dernier

En annonçant cette visite sur Twitter dimanche dernier, le chef de la Maison-Blanche avait précisé qu’il se rendrait en Géorgie « pour le compte de deux GRANDS sénateurs, David Perdue et Kelly Loeffler ». « Il est tellement important pour notre pays qu’ils gagnent », avait-il ajouté.

Mais il n’est pas certain que les sénateurs Perdue et Loeffler, qui seront présents à Dalton, lieu du rassemblement, soient vraiment contents de cet appui. « En public, ils diront qu’ils sont très heureux de cette visite de Trump, mais je ne suis pas sûr que ce soit ce qu’ils ressentiront vraiment », a commenté Jeffrey Lazarus, politologue de l’Université de Géorgie.

« Trump a l’habitude de tout ramener à sa propre personne, et il y a de bonnes chances qu’il parle de sa théorie du complot concernant le truquage de l’élection présidentielle, ce qui pourrait démobiliser les électeurs. Tout ça pour dire que l’activité ne devrait guère susciter d’enthousiasme pour Perdue et Loeffler, et ils en sont probablement conscients. »

Le même jour, Joe Biden participera à un rassemblement à Atlanta.

« Se battre pour Trump »

Siège du comté de Whitfield, la ville de Dalton se trouve dans la 14e circonscription de la Géorgie, qui sera représentée au Congrès américain à partir de ce dimanche par Marjorie Taylor Greene, cette sympathisante de QAnon. Celle-ci fait partie d’un groupe de représentants républicains qui veulent s’opposer à la certification des grands électeurs de certains États-clés par le Congrès le 6 janvier. « Tous les républicains au Congrès devraient se battre pour Trump, car il s’est battu pour chaque siège républicain. Le 6 janvier, nous avons besoin d’un raz-de-marée de soutien pour contester le vote frauduleux du collège électoral », a-t-elle tweeté lundi dernier. Des paroles qui résonnent agréablement aux oreilles de Donald Trump.

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Marjorie Taylor Greene, représentante de la Géorgie au Congrès américain

Mais Marjorie Taylor Greene n’est pas la seule personne de son camp en Géorgie à penser davantage au président qu’aux candidats républicains aux élections sénatoriales. L’avocat Lin Wood en est un autre. L’acolyte de l’avocate complotiste Sidney Powell continue à appeler au boycottage des scrutins du 5 janvier. « J’ai reçu de nombreuses critiques pour avoir exigé que la Géorgie corrige la fraude du 3 novembre avant que nous votions le 5 janvier. En toute honnêteté, je ne suis fan d’aucun des quatre candidats. Ils sont soit communistes, soit compromis par la Chine à mon avis. Je veux juste une élection HONNÊTE. Pas vous ? », a-t-il demandé dans un tweet publié le jour de Noël.

Il est encore trop tôt pour dire quel effet auront les messages de Donald Trump et de ses partisans les plus extrémistes. Cela dit, à quelques jours des élections sénatoriales, une chose était claire : les circonscriptions les plus conservatrices de la Géorgie, dont celle de Marjorie Taylor Greene, étaient celles où le vote par anticipation avait le plus décliné par rapport à une période comparable avant l’élection présidentielle du 3 novembre. En revanche, les circonscriptions les plus progressistes avaient vu le déclin le moins prononcé du vote par anticipation. Est-ce dû à l’effet Trump ?