Des restrictions pourraient bientôt être calquées sur la loi anti-avortement texane

(New York) Les citoyens de la Californie pourraient bientôt avoir le pouvoir de poursuivre les fabricants et les distributeurs de fusils d’assaut ou d’armes fantômes et d’empocher au moins 10 000 $ par infraction, plus les frais de procédures et d’avocat.

Si ce stratagème semble familier, c’est qu’il l’est. Dans un tweet et une déclaration publiés samedi soir, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a annoncé son intention de s’inspirer de la loi controversée du Texas sur l’avortement pour imposer de nouvelles restrictions sur les ventes de certaines armes à feu dans son État.

« La [Cour suprême des États-Unis] permet aux citoyens du Texas d’intenter des poursuites pour empêcher l’avortement ?! Si c’est le précédent, alors nous laisserons les Californiens poursuivre ceux qui font circuler des armes fantômes et des fusils d’assaut dans nos rues », a tweeté l’élu démocrate.

PHOTO ANDREW KUHN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Gavin Newsom, gouverneur de Californie

La veille de cette annonce, la Cour suprême avait autorisé les cliniques d’avortement du Texas à contester devant les tribunaux fédéraux le Texas Heartbeat Act (la loi texane dite du « battement de cœur »), sans toutefois stopper son application.

Depuis le 1er septembre dernier, cette mesure interdit la plupart des avortements après six semaines de grossesse et délègue aux Texans le pouvoir de la faire respecter, stratagème qui complique considérablement sa contestation devant les tribunaux fédéraux.

D’autres États, dont l’Alabama, l’Arkansas, la Floride et l’Ohio, ont proposé à leur tour des lois anti-avortement semblables à celle du Texas.

Mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’un État se serve du stratagème texan à d’autres fins que l’avortement.

« Dès que l’idée de la loi texane a été connue, les gens ont immédiatement commencé à spéculer que la théorie légale qu’ils utilisaient serait appliquée à d’autres sujets. C’est justement ce qui semble se produire », a déclaré à La Presse Robert Spitzer, politologue à l’Université d’État de New York à Cortland et auteur de plusieurs livres sur les armes à feu, l’avortement et la Constitution.

Deux poids, deux mesures

Les défenseurs du deuxième amendement de la Constitution, qui garantit le droit de porter des armes, ont d’ailleurs été parmi les premiers à reconnaître cette possibilité.

« Dans la mesure où cette tactique permet d’éviter ou de bloquer carrément l’examen préalable à l’application de la loi, tout en dissuadant les comportements protégés, elle deviendra facilement un modèle pour la suppression d’autres droits constitutionnels, les droits conférés par le deuxième amendement étant les cibles les plus probables », a écrit Erik Jaffe, avocat du groupe Firearms Policy Coalition, dans un mémoire présenté en octobre dernier dans le cadre de la contestation de la loi texane.

La Californie a déjà adopté il y a plus de 30 ans une loi interdisant la vente de fusils semi-automatiques sur son territoire. En juin dernier, le juge fédéral Roger Benitez a déclaré cette loi inconstitutionnelle. Dans la toute première phrase de sa décision, il a comparé l’AR-15, l’arme à feu préférée des tueurs de masse aux États-Unis, au couteau de l’armée suisse, voyant dans les deux « une combinaison parfaite d’arme de défense domestique et d’équipement de défense du territoire ».

Le procureur général de Californie, Ron Bonda, a porté sa décision en appel.

La nouvelle loi envisagée par le gouverneur Newsom n’interdirait pas seulement la fabrication, la distribution et la vente des fusils semi-automatiques. Elle viserait également les pièces commandées sur l’internet et qui servent à monter des armes dites fantômes parce qu’elles sont dépourvues de numéro de série.

La question est maintenant de savoir si les cinq juges les plus conservateurs de la Cour suprême se montreraient aussi tolérants envers une telle mesure qu’ils l’ont été jusqu’à présent à l’égard de la loi du Texas.

Robert Spitzer est au nombre des experts qui en doutent.

« Pourraient-ils laisser passer la mesure sur l’avortement au Texas, mais empêcher une loi sur les armes à feu comme celle de la Californie ? », a-t-il demandé de manière rhétorique. « Je pense que la réponse est que si tel est leur objectif, ils peuvent trouver un moyen de faire la distinction entre la loi texane sur l’avortement et la possible loi californienne sur les armes à feu, si celle-ci devait être promulguée. »

Une cause gagnante

Et quelle serait cette distinction ?

« Je n’en ai aucune idée ! », s’est exclamé le professeur Spitzer.

Cependant, si tout cela illustre quelque chose, c’est la façon dont les avocats conservateurs peuvent faire preuve d’imagination pour atteindre les objectifs qu’ils veulent atteindre et trouver des juges réceptifs dans les tribunaux fédéraux pour approuver ces efforts.

Robert Spitzer, politologue à l’Université d’État de New York à Cortland

Son parti jouissant de supermajorités dans les deux assemblées du Parlement de Californie, le gouverneur Newsom ne devrait avoir aucun mal à faire adopter sa loi au début de l’année prochaine. Après avoir défait facilement en septembre dernier une procédure de rappel le visant, il pourrait ainsi devenir le champion d’une cause susceptible non seulement de favoriser sa réélection en novembre 2022, mais également de lui procurer une tribune nationale.

Autrement dit, il ne peut pas perdre sur le plan politique. Sur le plan juridique, c’est une autre histoire.

En attendant, la National Rifle Association, influent lobby des armes à feu, ne le ménage pas.

« Le gouverneur Newsom ne comprend pas les actions de la Cour suprême – et les limites de sa guerre contre la possession légale d’armes à feu. Sa promesse de fouler au pied le deuxième amendement n’est rien d’autre que du théâtre politique », peut-on lire dans un communiqué de l’organisation.