Les trois coaccusés dans le procès sont reconnus coupables

(New York) Pendant des mois après la mort d’Ahmaud Arbery, survenue le 23 février 2020, Travis et Gregory McMichael, de même qu’un de leurs voisins, William Bryan, ont pu croire qu’ils échapperaient à la justice.

Le jour du drame, la procureure du comté de Glynn, Jackie Johnson, a sommé les policiers locaux de ne pas arrêter Travis, celui qui avait ouvert le feu sur le jeune Noir de 25 ans. Elle a été inculpée plus tôt cette année pour avoir « fait preuve de faveur et d’affection » pour le père de Travis, Gregory, un ancien enquêteur qui avait travaillé pour son bureau.

Un autre procureur du même comté a hérité du dossier après la décision de Jackie Johnson de se récuser. Il n’a pas davantage jugé opportun d’arrêter les McMichael ou William Bryan, et encore moins de les inculper. Il a accepté leur version des faits selon laquelle ils tentaient de procéder à une arrestation citoyenne quand Ahmaud Arbery, qu’ils disaient soupçonner d’être un cambrioleur, s’est mis à fuir puis à résister.

Il a fallu qu’une station de radio de Géorgie publie sur son compte Twitter une vidéo de la mort d’Arbery, le 5 mai dernier, pour que cette affaire suscite l’indignation aux États-Unis et mène à l’arrestation et à l’inculpation des trois hommes blancs.

Une réponse retentissante

Mais après avoir été protégés par des procureurs incompétents ou corrompus, ces derniers allaient-ils être sauvés par un jury du comté de Glynn composé de 11 Blancs et d’un seul Noir ?

Moins d’une semaine après l’acquittement controversé de Kyle Rittenhouse au Wisconsin, ce jury de Géorgie a fourni une réponse retentissante à cette question, mercredi. Après 11 heures de délibérations, il a reconnu les trois hommes coupables de meurtre et d’autres accusations. Les meurtriers risquent des peines allant jusqu’à la prison à vie.

Et ils n’en ont pas fini avec la justice. Ils doivent subir en février prochain leur procès devant un tribunal fédéral pour crimes haineux et tentative de kidnapping.

« Pour dire la vérité, je ne voyais pas ce jour en 2020 », a déclaré Wanda Cooper-Jones, la mère d’Ahmaud Arbery, devant le palais de justice de Brunswick, où une foule en fête était rassemblée.

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Wanda Cooper-Jones enlace un proche à la suite de l’annonce du verdict.

Je n’ai jamais pensé que ce jour viendrait, mais Dieu est bon. Merci à ceux qui ont manifesté, à ceux qui ont prié.

Wanda Cooper-Jones, mère d’Ahmaud Arbery

À Washington, Joe Biden a salué ce verdict, tout en évoquant le gouffre révélé par l’« horrible crime », qui allait être éclipsé par le meurtre de George Floyd aux mains d’un policier blanc de Minneapolis.

« Le meurtre d’Ahmaud Arbery – dont le monde entier a été témoin par vidéo – est un rappel dévastateur du chemin qu’il nous reste à parcourir dans la lutte pour la justice raciale dans ce pays », a dit le président.

Un joggeur ou un cambrioleur ?

De toute évidence, le jury de Brunswick, siège du comté de Glynn, a prêté foi à la version des procureurs du comté de Cobb, chargés du dossier après le désaveu des procureurs locaux.

Selon eux, Ahmaud Arbery, un ancien footballeur, s’adonnait au jogging, un de ses passe-temps favoris, lorsqu’il s’est retrouvé, en plein cœur de l’après-midi, un samedi, dans le quartier de Satilla Shores, à Brunswick, municipalité côtière située dans le sud de la Géorgie.

Une vidéo a montré le jeune Noir, peu avant d’être tué, entrant dans une maison en construction. Ce n’était pas la première fois qu’il y pénétrait. Mais il n’y avait jamais rien pris, selon une caméra de surveillance.

Arbery avait quitté la maison et courait dans la rue lorsque les McMichael se sont mis à sa poursuite à bord d’une camionnette, suivis, dans une autre camionnette, par William Bryan, qui allait filmer la fin de la poursuite.

Selon l’avocat de Travis McMichael, les trois hommes ont agi en vertu de leur devoir et de leur responsabilité de détenir un homme qu’ils avaient des motifs raisonnables de croire être un cambrioleur.

PHOTOS ASSOCIATED PRESS

Dans l’ordre : Travis McMichael, William Bryan et Gregory McMichael

À la barre, Travis McMichael a déclaré qu’il n’avait pas eu le choix d’ouvrir le feu sur Ahmaud Arbery quand ce dernier, après avoir été coincé par un des camions, lui a donné des coups de poing et tenté de lui arracher son fusil.

« Il était évident […] que s’il avait pris le fusil à pompe, c’était une situation de vie ou de mort. Alors j’ai tiré », a déclaré l’homme de 35 ans.

Comme un « lynchage »

Lors de sa plaidoirie finale, la principale avocate de la poursuite, Linda Dunikoski, s’est attaquée à l’idée selon laquelle trois hommes, dont deux étaient armés, avaient des motifs raisonnables de craindre un homme non armé qui s’éloignait d’eux en courant.

Il n’y a pas de peur ici. Il n’y a que de la colère.

Linda Dunikoski, avocate de la poursuite, reprochant aux accusés de s’être mis à la poursuite d’Arbery sur un « coup de tête »

La composition du jury avait fait craindre le pire à ceux qui voyaient la mort du jeune Noir comme un « lynchage » digne des pires moments du passé raciste de la Géorgie. Le juge au procès, Timothy Walmsley, avait lui-même déclaré que le déséquilibre racial des jurés semblait découler d’une « discrimination intentionnelle » de la part des avocats de la défense.

L’un de ces avocats, Kevin Gough, avait de son côté semblé vouloir exploiter le facteur racial en demandant au juge à deux reprises d’annuler le procès au prétexte que les pasteurs noirs Al Sharpton et Jesse Jackson se trouvaient parmi les spectateurs. Selon lui, la présence de ces célèbres militants des droits civiques aux côtés de la mère d’Ahmaud Arbery était susceptible d’influencer ou d’intimider les jurés.

PHOTO OCTAVIO JONES, REUTERS

Le révérend Al Sharpton, entouré de la famille et des avocats d’Ahmaud Arbery, à la sortie de la cour de justice

Le juge l’a envoyé paître à deux reprises.

Pour autant, Al Sharpton a exprimé une certaine surprise après l’annonce du verdict.

« Un jury composé de 11 Blancs et d’un Noir, dans le Sud profond, s’est levé dans la salle d’audience et a déclaré que la vie des Noirs compte, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. Brunswick, en Géorgie, restera dans l’histoire comme l’endroit où la justice pénale a pris un tournant différent. »