Le nombre de morts par surdose a atteint un sommet aux États-Unis, excédant pour la première fois la barre des 100 000 cas sur une période d’un an, selon de nouvelles données des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC).

Entre avril 2020 et avril 2021, 100 306 surdoses fatales ont été enregistrées, soit une hausse de 28,5 % par rapport à la même période l’année précédente, d’après des chiffres provisoires.

Le président américain Joe Biden a indiqué mercredi dans un communiqué que son administration était consternée par ce bilan « tragique » et entendait « tout faire » pour contrer une épidémie dévastatrice reléguée à l’arrière-plan par la pandémie de COVID-19.

« Il s’agit d’un chiffre historique pour une crise historique. C’est un choc, mais en même temps, il fallait s’y attendre », affirme le DDaniel Ciccarone, professeur spécialisé dans les questions de toxicomanie à l’Université de Californie à San Francisco.

Le pays a été frappé sur 20 ans par une succession de vagues sans aucune indication qu’on approchait d’un plateau.

Le DDaniel Ciccarone, professeur à l’Université de Californie

L’augmentation du nombre de surdoses remonte aux années 1990, avec la prescription excessive de médicaments antidouleur à base d’opioïdes qui ont rendu nombre d’Américains dépendants.

La deuxième vague a débuté autour de 2010 après que les trafiquants de drogue eurent introduit à grande échelle de l’héroïne dans le pays pour répondre à la demande suscitée par le resserrement de l’accès aux médicaments.

Les ravages du fentanyl

Une troisième vague de surdoses a ensuite commencé avec l’arrivée du fentanyl, opioïde 40 fois plus puissant que l’héroïne, moins coûteux à produire, souvent utilisé pour couper d’autres drogues à l’insu des utilisateurs, malgré les risques.

Le DCiccarone note que le fentanyl, après avoir longtemps été confiné sur la côte Est, a fait son apparition au cours des dernières années dans l’ouest du pays, où il fait des ravages. Certains États comme la Californie enregistrent une véritable explosion de cas de surdose liés à sa consommation.

Chelsea Shover, épidémiologiste rattachée à l’Université de Californie à Los Angeles, prévenait en 2020 dans une étude que l’élargissement de l’utilisation de fentanyl à l’ensemble du pays était susceptible de rendre l’épidémie de surdoses « nettement » plus importante.

La chercheuse indique en entrevue avoir pris connaissance directement de l’arrivée du puissant opioïde dans sa ville en 2018 lorsqu’un collègue de travail au sein d’une organisation communautaire a fait une surdose en croyant consommer de la cocaïne qui s’est révélée contaminée par du fentanyl.

Le rôle de la pandémie

Le nombre de cas de surdoses liés à des opioïdes de synthèse comme le fentanyl a bondi de 16 % entre 2018 et 2019 et le phénomène s’est ensuite accéléré dans le contexte de la pandémie de COVID-19, qui est venue mettre « de l’essence sur le feu », observe le DCiccarone.

L’isolement social accru, le désespoir pouvant être suscité par la détérioration de la situation économique et le choc découlant de la mort de proches sont autant de facteurs susceptibles, dit-il, de pousser des individus à se tourner vers les drogues ou à intensifier leur consommation, augmentant les risques de dérapage.

Le chercheur de l’Université de Californie à San Francisco relève que l’on constate aussi aujourd’hui une augmentation importante du nombre de surdoses liées à une consommation simultanée de drogues, notamment des goofballs combinant fentanyl et méthamphétamine.

Faciliter l’accès à la naloxone

L’administration américaine a rappelé mercredi qu’elle avait réservé près de quatre milliards de dollars américains pour renforcer les services d’aide aux toxicomanes du pays dans le cadre d’un plan d’urgence adopté en avril.

Chelsea Shover pense que le gouvernement fédéral et les États doivent multiplier leurs efforts pour faciliter notamment l’accès à la naloxone, un produit extrêmement efficace pour traiter d’urgence les surdoses liées à la consommation d’opioïdes.

Des contraintes bureaucratiques freinent à plusieurs endroits l’accès au médicament, qui est souvent présenté par des élus conservateurs comme un facteur susceptible d’encourager la consommation de drogues.

Le raisonnement ne tient pas, souligne Mme Shover, qui utilise une analogie routière pour l’écarter.

Ce n’est pas parce qu’on porte une ceinture et qu’il y a un ballon gonflable pour nous protéger qu’on va rouler plus vite en voiture.

Chelsea Shover, épidémiologiste rattachée à l’Université de Californie à Los Angeles

La chercheuse pense qu’il faut aussi faciliter l’accès aux centres de désintoxication, tant en ajoutant du personnel qu’en élargissant la portée de Medicaid pour permettre à des personnes avec des ressources limitées d’obtenir le service.

Le DCiccarone est aussi d’avis qu’il faut accroître « massivement » à court terme les ressources déployées pour prévenir et contrer les surdoses et offrir des services de soutien aux toxicomanes.

Il paraît aussi impératif de s’attaquer aux inégalités économiques et aux problèmes de racisme qui minent la société américaine, explique le chercheur, qui s’inquiète de la montée récente des cas de surdoses aux opioïdes dans la communauté afro-américaine.

« Nous vivons dans une société qui compte de nombreuses failles où s’insèrent les drogues. À long terme, il faudra s’en occuper », conclut-il.

500 000

Nombre approximatif d’Américains tués depuis 20 ans par une surdose d’opioïdes

Source : Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC)