Des lois qui visent à restreindre ou carrément empêcher les discussions en classe sur des sujets jugés « clivants » comme le racisme, l’identité de genre ou certains pans de l’histoire du pays ont été introduites depuis le début de l’année dans des dizaines d’États américains.

La situation inquiète au plus haut point Jonathan Friedman, de PEN America, qui voit dans ce « blitz » législatif orchestré par des élus républicains une grave menace à la liberté universitaire et à la liberté d’expression.

« Ces lois ont déjà un effet inhibiteur dans les écoles et les universités. On parle de donner le pouvoir aux États de dicter ce qui peut et ce qui ne peut pas être enseigné et de punir les enseignants qui refusent de se conformer », souligne le représentant de l’organisation, qui regroupe de nombreux écrivains et journalistes.

Dans un rapport paru cette semaine, les chercheurs de PEN America soulignent qu’au total, 54 projets de loi « bâillons » visant le monde de l’éducation ont été déposés dans 24 États entre juin et septembre 2021. Une dizaine sont déjà entrés en vigueur.

Certains textes sont pointus et visent à interdire l’utilisation de matériel bien précis, visant par exemple la série balado 1619 du New York Times, qui explore l’importance de l’esclavage dans le développement des États-Unis.

D’autres utilisent un langage beaucoup plus vague pour empêcher les discussions sur des sujets jugés sensibles par les législateurs. Ils paraissent susceptibles, au dire de PEN America, d’affecter « de manière disproportionnée » le droit à la liberté d’expression des femmes, des membres de minorités visibles et des personnes LGTBQ+ travaillant en enseignement ou en formation professionnelle.

Lois générant de l’incertitude

Selon le rapport, la plupart des projets de loi recensés s’inspirent largement d’un décret signé en septembre 2020 par l’ex-président américain Donald Trump qui avait officiellement pour objectif de « combattre les stéréotypes de race et de sexe » en matière de formation dans la fonction publique et dans l’armée.

Le texte précisait plusieurs « concepts clivants » à interdire, par exemple l’idée que « les États-Unis sont fondamentalement racistes ou sexistes » ou encore qu’un individu est responsable, en raison de « sa race ou de son sexe », des « actions passées » d’autres membres du même groupe.

Le décret, qui a suscité une vive controverse, a été bloqué partiellement par un juge fédéral à la fin de 2020 et formellement annulé par le président Joe Biden à son entrée en fonction au début de l’année.

Comme il devait aussi s’appliquer aux institutions traitant avec le gouvernement, des établissements d’enseignement comme l’Université d’Iowa ont retiré des formations sur la diversité, de crainte de voir leur budget amputé.

M. Friedman note que les lois recensées dans le rapport vont plus loin que l’initiative de l’ex-président en prenant directement pour cibles les établissements d’enseignement, tant au primaire et au secondaire qu’à l’université.

Dans bien des cas, dit-il, les mécanismes prévus pour assurer leur conformité idéologique et les sanctionner au besoin sont mal définis, laissant les administrateurs dans l’incertitude.

Bien qu’elles semblent contrevenir à des dispositions fondamentales de la Constitution américaine, M. Friedman pense qu’il ne peut être exclu que certaines des lois résistent à l’examen des tribunaux.

La question se pose notamment au primaire et au secondaire, puisque les États ont depuis longtemps « un certain pouvoir pour établir le curriculum », qui est actuellement mal balisé par la jurisprudence, relève le porte-parole.

« Droit fondamental » en danger

L’introduction de ces lois par le camp républicain survient alors que le débat sur la liberté d’expression et la liberté universitaire dans les écoles et les campus américains gagne encore en intensité. La pression vient tant de groupes disant vouloir lutter contre la discrimination que de groupes opposés voulant freiner ce qu’ils décrivent comme la stigmatisation à outrance de la majorité blanche au pays.

M. Friedman note que PEN America a déjà consacré plusieurs rapports à ces tensions et tente de faire valoir aux deux camps qui s’affrontent qu’il y a « moyen d’être en désaccord ».

La liberté d’expression est un droit fondamental. On ne peut pas avoir des sociétés qui tentent de le passer au bulldozer tout en croyant que ça ne se fera pas à leur propre péril.

Jonathan Friedman, de PEN America

Le congédiement d’un enseignant survenant à cause de lois restrictives et un autre résultant de plaintes d’élèves sont tous deux « préoccupants » pour la liberté d’expression, mais le premier paraît plus dangereux, dit-il.

« Les batailles culturelles dans lesquelles des gens tentent d’en amener d’autres à se conformer à leur point de vue représentent tout de même une menace moindre que le danger associé au fait de donner à l’État le pouvoir de trancher », conclut M. Friedman.