(New York) C’était un risque calculé. Au huitième jour du procès de Kyle Rittenhouse, les avocats de la défense ont appelé à la barre leur jeune client, accusé d’avoir tué deux hommes et d’en avoir blessé un troisième lors d’une manifestation contre le racisme et la brutalité policière à Kenosha, au Wisconsin, le 25 août 2020.

Aujourd’hui âgé de 18 ans, Rittenhouse a affirmé avoir quitté son domicile d’Antioch, dans l’Illinois, armé d’un AR-15, par altruisme ce jour-là. L’ambulancier en herbe a raconté que son intention était de fournir des premiers soins et d’éteindre des feux dans la ville qui avait été le théâtre d’émeutes les deux nuits précédentes. Le 23 août, un policier blanc de Kenosha avait tiré plusieurs balles dans le dos de Jacob Blake, un Afro-Américain de 29 ans, lors de son arrestation pour violence conjugale présumée.

L’adolescent n’avait pas à justifier pourquoi il s’était présenté à Kenosha avec une arme semi-automatique qu’il n’était pas autorisé à posséder en tant que mineur. Son objectif consistait à convaincre les jurés qu’il avait raison de craindre d’être tué ou grièvement blessé lorsqu’il a ouvert le feu sur Anthony Huber, 26 ans, Gaige Grosskreutz, 27 ans, et Joseph Rosenbaum, 36 ans.

Il a décrit Rosenbaum comme étant « la personne qui [l]’a attaqué en premier et menacé de [le] tuer à deux reprises ».

« Il criait : “Si j’attrape l’un de vous tout seul, je vais le tuer.” Il a dit : “Je vais lui arracher son putain de cœur” », s’est souvenu Rittenhouse, s’exprimant jusque-là d’une voix calme et assurée.

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Kyle Rittenhouse a éclaté en sanglots durant son témoignage.

Il s’est cependant mis à pleurer de façon incontrôlée lorsque Mark Richards, un des avocats de la défense, lui a demandé de décrire les moments qui ont précédé immédiatement les quatre coups de feu qu’il a tirés en direction de Rosenbaum. Le juge a dû suspendre son témoignage pendant dix minutes.

Annulation du procès ?

De retour à la barre, Rittenhouse a déclaré que Rosenbaum et Huber s’étaient tous les deux précipités sur lui pour lui prendre son arme. Il a précisé que Huber l’avait frappé à deux reprises à la tête avec une planche à roulettes.

En décrivant son tir sur Huber, il a déclaré : « Il attrape mon arme et je sens qu’elle s’éloigne de moi et je sens que la sangle se détache de mon corps. Je tire un coup de feu. »

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Gaige Grosskreutz, lors de son témoignage, lundi

Il a par la suite raconté avoir tiré une balle en direction de Grosskreutz après que ce dernier a pointé une arme de poing vers lui. Blessé à un bras, Grosskreutz est le seul parmi les trois personnes atteintes par Rittenhouse à avoir survécu.

« Je n’ai rien fait de mal. Je me suis défendu », a déclaré l’adolescent en réponse à une question du procureur de l’État du Wisconsin, Thomas Binger.

Ce dernier a soulevé la colère du juge Bruce Schroeder au début de son contre-interrogatoire de Rittenhouse en évoquant le silence de ce dernier pendant les longs mois qui ont précédé son témoignage de mercredi. Après avoir demandé aux jurés de quitter la salle d’audience, le juge a haussé le ton, reprochant au procureur d’avoir mis en cause le sacro-saint droit de l’accusé à garder le silence.

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Le juge Bruce Schroeder, mercredi

Les avocats de la défense ont aussitôt demandé l’annulation du procès avec préjudice, c’est-à-dire sans possibilité d’en intenter un nouveau contre leur client pour les mêmes crimes. Le juge a pris la question en délibéré.

Kyle Rittenhouse n’était pas obligé de témoigner. En fait, rares sont les procès où une personne accusée d’un ou de plusieurs meurtres témoigne pour sa propre défense. Si les avocats du jeune homme ont décidé de l’appeler à la barre, c’est que le procès s’était déroulé jusque-là de façon quasiment rêvée pour lui.

Des témoins gênants

Lors des sept premiers jours du procès, la poursuite a appelé une vingtaine de témoins, dont plusieurs ont semblé conforter la thèse de la défense selon laquelle Kyle Rittenhouse a agi en état de légitime défense.

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Kyle Rittenhouse, portant une arme dans une rue de Kenosha, le 25 août 2020

C’était notamment le cas de Gaige Grosskreutz, un ambulancier de Milwaukee qui s’était pointé à Kenosha avec une arme de poing. Arme de poing qu’il a admis avoir pointée en direction de Rittenhouse avant que celui-ci ouvre le feu et pulvérise l’un de ses biceps.

« Ce n’est que lorsque vous avez pointé votre arme sur lui, avancé vers lui avec votre arme, […] qu’il a tiré, n’est-ce pas ? », a demandé un des avocats de la défense à Grosskreutz lundi.

« Exact », a répondu ce dernier.

Lors de son contre-interrogatoire de Rittenhouse, le procureur de l’État du Wisconsin a cherché à faire valoir la thèse de la poursuite selon laquelle l’accusé a créé la situation dangereuse qui a mené au bain de sang cette nuit-là. « Vous comprenez que lorsque vous pointez votre AR-15 sur quelqu’un, cela peut lui donner l’impression que vous allez le tuer, n’est-ce pas ? », a dit Binger à Rittenhouse.

La voix de nouveau étranglée par l’émotion, ce dernier a répondu, en faisant allusion à Rosenbaum : « Il aurait pu s’enfuir au lieu d’essayer de me prendre mon arme, mais il a continué à me poursuivre. Ça ne l’a pas arrêté. »

Six chefs d’accusation visent Rittenhouse, dont homicide volontaire au premier degré, mise en danger de la vie d’autrui par négligence, possession d’une arme dangereuse par une personne de moins de 18 ans et usage d’une arme dangereuse.

Dans un sens, le juge Schroeder est également sur la sellette. Dès le début du procès, son impartialité a été mise en cause lorsqu’il a permis aux avocats de la défense de qualifier les personnes tuées ou blessées par Rittenhouse de « pilleurs, émeutiers, incendiaires ou tout autre terme péjoratif […] pour autant qu’ils fournissent des preuves ».

À cela s’ajoutent ses décisions de mercredi contre la poursuite, accompagnées de sautes d’humeur inhabituelles de la part d’un magistrat.