En raison du clivage politique exacerbé qui a cours dans le pays sur fond de pandémie, même un oiseau surdimensionné réputé pour sa gentillesse peut susciter actuellement la polémique aux États-Unis.

L’attention accordée depuis quelques jours au sud de la frontière aux récentes interventions publiques de Big Bird, célèbre personnage de l’émission pour enfants Sesame Street, le confirme.

Sur le compte Twitter qui lui est symboliquement attribué, la création du marionnettiste Jim Henson s’est félicitée samedi d’avoir reçu son vaccin contre la COVID-19.

« J’ai un peu mal à l’aile, mais ça va donner à mon corps une protection additionnelle qui va me permettre et permettre aux autres de rester en santé », a-t-il noté.

Le message a été mis en ligne le jour où Big Bird faisait une apparition, au côté de plusieurs experts de santé publique, dans une émission spéciale de la chaîne CNN visant à expliquer « l’ABC des vaccins » aux enfants.

Le président américain Joe Biden, qui a récemment lancé une nouvelle phase de la campagne de vaccination contre la COVID-19 visant les enfants de 5 à 11 ans, a félicité dans un message le volatile pour son action en relevant qu’il s’agissait de la manière la plus efficace de « protéger les gens de son quartier ».

Près de 300 000 personnes ont aussi signalé en ligne leur approbation de la démarche de Big Bird, qui a suscité des milliers de commentaires contradictoires témoignant des divisions de la population américaine à ce sujet.

Des politiciens du camp républicain se sont lancés dans la mêlée, notamment le sénateur du Texas Ted Cruz, qui a décrit l’intervention de l’oiseau comme une forme de « propagande gouvernementale… pour votre enfant de 5 ans ! »

La sortie de l’élu est survenue alors qu’il accuse, sans preuve à l’appui, l’administration démocrate de vouloir contraindre l’ensemble des enfants américains à recevoir un vaccin contre la COVID-19.

Les propos de Big Bird ont aussi été largement commentés sur la chaîne Fox News, qui est revenue à plusieurs reprises sur le sujet depuis samedi.

Un de ses animateurs, Will Cain, s’est notamment moqué des interventions du personnage alors que défilait à l’écran une bannière indiquant que Sesame Street s’est associée à CNN pour « laver le cerveau des enfants ».

L’animatrice Harris Faulkner a déclaré pour sa part qu’elle était curieuse de savoir « qui, au gouvernement », avait décidé de faire appel à un « oiseau jaune fictif » pour inciter les enfants à l’imiter en se faisant vacciner plutôt que d’encourager les parents à consulter leur médecin à ce sujet.

« Bataille civilisationnelle »

Des ténors de CNN n’ont pas tardé à donner la réplique. Le commentateur Chris Cilliza a ironisé sur le fait que Big Bird pouvait difficilement être assimilé à un « propagandiste de l’État profond ».

Le but, a-t-il noté, est « d’utiliser tous les outils disponibles – y compris un oiseau de huit pieds de haut – pour rappeler aux gens que nous sommes tous dans le même bateau et que nous avons une responsabilité partagée de protéger les personnes les plus vulnérables parmi nous ».

Andrew Lawrence, de l’organisation Media Matters for America, relève que la polémique sur Big Bird paraît « absurde » vue de l’extérieur. Elle a cependant du sens, dit-il, pour les auditeurs de Fox News qui se croient engagés, selon lui, dans une sorte de « bataille civilisationnelle » où toute intervention semblant servir les objectifs du gouvernement démocrate paraît suspecte, plus encore lorsque les enfants sont concernés.

La chaîne, dit-il, impose de sévères restrictions sanitaires à ses employés, mais n’hésite pas à multiplier en ondes les interventions trompeuses et alarmistes sur la question de la vaccination parce qu’elle est certaine d’obtenir une réponse forte de son auditoire.

« Ça crée de l’engagement », relève M. Lawrence, qui voit aussi dans les commentaires de Ted Cruz une sortie calculée pour attirer l’attention du public et mobiliser sa base politique.

En plus de critiquer son approche envers les enfants, le camp républicain s’attaque actuellement à la volonté de l’administration démocrate d’imposer la vaccination au personnel des firmes privées comptant plus de 100 employés.

Un tribunal a ordonné il y a quelques jours la suspension de cette mesure, qui doit normalement commencer à s’appliquer au début du mois de janvier, en relevant qu’elle soulève de « graves enjeux constitutionnels ».

Ces polémiques surviennent alors que le nombre de nouveaux cas quotidiens de COVID-19 aux États-Unis est repassé sous la barre de 100 000, après avoir atteint près de 200 000 à la mi-août.