(New York) Une autre balle perdue à New York, mais pas pour tout le monde.

Il y a un mois, Kyla Sobers-Batties, adolescente de Brooklyn, était assise sur un banc de parc avec des amies lorsqu’un projectile qui ne lui était pas destiné l’a atteinte à la tête.

Il s’agissait du huitième évènement de coups de feu impliquant des adolescents en quatre jours à New York. Kyla a été plus chanceuse que trois d’entre eux, âgés comme elle de 16 ans et dont la vie s’est arrêtée net. Après un séjour de deux semaines à l’hôpital au cours duquel on lui a retiré des fragments de balle de la tête, elle a obtenu son congé.

Depuis plus d’un an, à New York comme à Montréal, les événements de coups de feu surviennent avec une fréquence troublante. Et ils joueront ce mardi un rôle crucial à l’occasion de l’élection à la mairie de la métropole américaine.

Car, à moins d’une surprise immense, ce scrutin mènera à la victoire d’un ancien capitaine du NYPD, Eric Adams, qui a promis de mettre à profit son expérience pour à la fois réformer la police et combattre la criminalité.

L’une de ses propositions récentes en a surpris plus d’un. Lors d’une entrevue accordée au Breakfast Club, émission de radio populaire auprès des amateurs de hip-hop, celui qui deviendra probablement le deuxième maire noir de New York a affirmé vouloir « collaborer » avec des « membres importants de gangs », y compris des coupables ou suspects de meurtres.

« On ne peut pas seulement utiliser la manière forte », a déclaré le démocrate de 61 ans, qui est aujourd’hui président de l’arrondissement de Brooklyn. « J’ai rencontré d’importants membres de gangs. Certains avaient commis des meurtres. D’autres avaient été accusés de meurtre. Et je me suis assis avec eux et j’ai dit : “Écoutez, nous devons faire en sorte de mettre fin à cette violence dans notre ville.” Je veux continuer à collaborer avec eux. »

« Il s’est assis avec des tueurs ! »

Tirant de l’arrière par 40 points de pourcentage selon un sondage publié lundi dernier, le candidat républicain à la mairie, Curtis Sliwa, a jeté les hauts cris après cette déclaration.

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Curtis Sliwa (à droite), candidat républicain à la mairie de New York, lors d’un débat télévisé l’opposant à Eric Adams le 26 octobre dernier

« Il s’est assis avec des tueurs ! C’est très différent des chefs de gang ou des membres de gang », a dénoncé cet animateur de radio et fondateur des Guardian Angels, patrouilles bénévoles controversées qui interviennent à New York depuis 40 ans pour lutter contre la criminalité.

Le porte-parole d’Eric Adams a convenu plus tard que ce dernier s’était écarté de son programme officiel, où il est seulement question de collaboration avec des « messagers crédibles » pour lutter contre la criminalité liée aux gangs. « Il parlait à de jeunes personnes », a-t-il justifié en faisant allusion à l’auditoire du Breakfast Club.

Mais Eric Adams s’est-il vraiment « assis avec des tueurs » ? Il a évité de répondre à la question lors d’un débat.

L’épisode illustre un aspect important de la personnalité d’Eric Adams. Les déclarations et les actions de ce politicien charismatique sont souvent suspectes, voire incroyables. L’an dernier, par exemple, on lui a demandé pourquoi il avait omis de déclarer ses revenus locatifs au gouvernement fédéral, entre autres manquements. Il a répondu qu’il avait eu du mal à retrouver la trace de son comptable, vu que ce dernier vivait à l’époque dans un refuge pour sans-abri.

Le New York Times lui a demandé récemment ce qu’il pourrait dire aux New-Yorkais qui ne sont pas rassurés par la façon dont il a mené ses finances personnelles et électorales (à l’époque où il était sénateur d’État, il a été soupçonné d’avoir enfreint les lois sur le financement des campagnes).

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Eric Adams, ancien capitaine du NYPD et candidat démocrate à la mairie de New York, lors d’un débat télévisé le 26 octobre dernier

Ce sera une joie de savoir que je n’ai pas à gérer le budget de 98 milliards de dollars – j’ai un directeur du Bureau de la gestion et du budget. Je n’ai pas à gérer le département de la police. J’ai un commissaire.

Eric Adams, candidat démocrate à la mairie de New York

On ne peut imaginer aucun maire récent de New York tenir de tels propos.

Proche des classes populaires

Né à Brooklyn et élevé par une mère seule dans l’arrondissement de Queens, Eric Adams a virtuellement gagné la mairie de New York en juin dernier, lors d’une primaire démocrate. Il a coiffé de justesse deux anciennes membres de l’administration de Blasio, Kathryn Garcia et Maya Wiley.

Tout au long de sa campagne, il a martelé le thème de l’ordre public, promettant d’augmenter le nombre de policiers dans les quartiers les plus touchés par les événements de coups de feu. Il a également mis de l’avant son histoire personnelle (dont certains détails clés ont changé au fil des ans), soit celle d’un New-Yorkais qui a connu la pauvreté, flirté avec la délinquance, subi la violence policière lors d’une arrestation à 15 ans et s’est joint à la police pour la réformer de l’intérieur.

Ce message, auquel s’est ajouté un appel à de meilleures relations entre la Ville et le monde des affaires, a plu en particulier aux électeurs des classes populaires, qui ont vu en Eric Adams un politicien proche de leurs préoccupations.

Mais les défis du prochain maire de New York ne se limiteront pas à la lutte contre la criminalité et à la relance d’une économie qui souffre encore des effets de la pandémie de coronavirus. Ils incluront également la déségrégation des écoles publiques de New York, dont les plus performantes ne sont pas représentatives de la diversité raciale de la ville, le renouvellement du parc locatif social et l’implantation d’un péage urbain, entre autres.

Chose certaine, le successeur probable de Bill de Blasio ne manque pas d’ambition.

« New York va montrer à l’Amérique comment gérer une ville, a-t-il déclaré en juillet dernier. Parce que je sais comment gérer cette ville. Je sais comment diriger. »

Et New York de croiser les doigts.